La Cour de cassation élargit le cercle des parties civiles en matière de terrorisme (février 2022)
La loi prévoit que seule une personne ayant “personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction” peut se constituer partie civile.
Au stade de l’instruction, l’appréciation de ces conditions est moins stricte : il suffit que les circonstances fassent apparaître comme possible l’existence d’un préjudice et sa relation directe avec l’infraction.
Jusqu’à présent, les juges adoptaient une conception plutôt minimaliste... et considéraient que les personnes qui se sont volontairement exposées pour interrompre un crime ou qui se sont blessées en fuyant un lieu proche d’un attentat étaient irrecevables à se constituer parties civiles.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation, en formation plénière, a remis en cause ces décisions par trois arrêts de principe rendus le 15 février 2022.
Après avoir solennellement rappelé que “pour qu’une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d’instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent au juge d’admettre comme possibles l’existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale”, la Haute Cour a cassé les décisions de la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris pour déclarer recevables les constitutions de partie civile :
1) De ceux qui se sont volontairement exposés à des atteintes graves à la personne et ont subi un dommage en cherchant à interrompre un attentat ;
En l’espèce :
• Un homme qui a voulu neutraliser le conducteur du camion sur la Promenade des Anglais le 14 juillet 2016, et qui a subi un dommage en cherchant à interrompre l’attentat ;
• Une femme qui a tenté de maîtriser le terroriste qui poignardait une femme sur le parvis de la gare Saint-Charles à Marseille, le 1er octobre 2017, et qui a subi un traumatisme psychique important ;
La Cour de cassation considère que l’intervention contre l’auteur d’un acte de terrorisme est “indissociable” de l’acte terroriste, “de sorte que le préjudice pouvant en résulter (…) peut être en relation directe” avec cet acte.
2) De ceux qui, se croyant légitimement exposés, se blessent en fuyant un lieu proche d’un attentat ;
En l’espèce :
Une femme qui, le soir du 14 juillet 2016 à Nice, se trouvait au-delà du point d’arrêt du camion, et qui, entendant des cris et des coups de feu, a sauté sur la plage située en contrebas de la Promenade des Anglais, et s’est blessée ; Elle n’avait pas été heurtée par le camion, n’avait pas eu à l’éviter car elle n’était pas dans son champ d’action et ne se trouvait pas non plus dans le champ des tirs terroristes.
La Cour de cassation considère sa fuite comme “indissociable de l’action criminelle qui l’a déterminée” en arguant du fait qu’elle se trouvait sur “le lieu d’une action criminelle ayant pour objet de tuer indistinctement un grand nombre de personnes, à laquelle, du fait de sa proximité, elle a pu légitimement se croire exposée”, ce qui suffit à caractériser la possibilité de la relation directe du préjudice allégué avec l’acte terroriste.
Cette jurisprudence remet en cause la théorie jusqu’à présent défendue par le Parquet National Anti-Terroriste, et notamment soutenue dans le cadre du procès en cours des attentats du 13 novembre, selon laquelle pour être recevable il faudrait s’être trouvé dans le champ de l’action terroriste. A défaut, le PNAT qualifiait la personne de “témoin malheureux”.
De nombreuses situations pourraient être chamboulées par ce nouvel état du droit.
On pense à ceux qui ont essuyé des décisions d’irrecevabilité dans le cadre d’instructions terroristes et/ou des réquisitions d’irrecevabilité au procès des attentats du 13 novembre :
• Ceux qui ont fui le mouvement de foule entrainé par les explosions kamikazes du Stade de France,
• Ceux qui se trouvaient dans le dos des tireurs du commando des terrasses,
• Les aidants (civils ou professionnels) qui pouvaient légitimement se croire encore exposés à la menace,
• Les fonctionnaires de police intervenus à proximité et dans le Bataclan,
Au procès V13, la Cour d’assises spécialement composée en matière terroriste a renvoyé l’examen de la recevabilité des constitutions de parties civiles contestées par le PNAT à l’audience sur intérêts civils subséquente à l’arrêt pénal.
A n’en pas douter, ces questions de recevabilité donneront lieu à d’âpres débats devant la Cour d’assises, et ces nouvelles décisions de la Cour de cassation seront largement mises en avant.
Laura Costes, Avocat
Alicia Renard, juriste
Pôle attentats, Cabinet ACG