Exclusion illégale des gardes médicales : condamnation du CHU de REIMS pour détournement de pouvoir
Il arrive malheureusement que l’autorité administrative utilise les pouvoirs qu’elle détient dans un but étranger à celui pour lequel ils lui ont été confiés ; c’est ce que l’on appelle en droit administratif un détournement de pouvoir.
Ce vice de légalité interne est souvent difficile à prouver, et l’autorité administrative dispose d’une formule magique qui va pouvoir donner une illusion de légalité à ses décisions : « l’intérêt du service ».
L’un des seuls moyens d’échapper au sortilège est de compter sur la maladresse de l’auteur de la décision qui aurait laissé une trace de sa véritable motivation. C’est « la chance » sur laquelle a pu compter un Professeur Universitaire – Praticien Hospitalier (PUPH) du Centre hospitalier universitaire de REIMS (CHU) illégalement évincé de ses gardes.
Ce PUPH s’est attiré les foudres de la direction après avoir établi un rapport, dont la presse a eu connaissance, sur le fonctionnement et les dysfonctionnements du service des urgences. En représailles, le directeur de l’établissement a exigé que les gardes qu’il devait assurer lui soient retirées et qu’aucune ne lui soit accordée jusqu’à son départ à la retraite dans les mois qui suivaient.
Officiellement, on va se contenter de lui expliquer verbalement ou par courrier électronique que sa présence n’est plus requise pour ces gardes, sans la moindre explication.
L’intéressé conteste ces décisions verbales devant le tribunal administratif devant lequel le CHU essaie de donner une illusion de légalité à ses décisions en invoquant : les pouvoirs de police administrative, l’intérêt du service, ou encore la mesure d’ordre intérieur.
Sauf que le PUPH a pu produire un courriel de l’auteur de la décision qui demandait à ses interlocuteurs de refuser les gardes en raison de l’article paru dans la presse… Preuve que les décisions contestées ont été prises dans le but de sanctionner son destinataire. Or, un sanction ne peut être prise que dans le cadre d’une procédure disciplinaire qui n’a pas, en l’espèce, été engagée.
Il s’agit donc d’une « sanction disciplinaire déguisée » ; qui caractérise un détournement de pouvoir ; les décisions contestées sont annulées et le CHU est condamné à indemniser la victime de son préjudice économique (à hauteur du montant des gardes qu’il aurait pu réaliser) et de son préjudice moral.
Ce jugement est également l’occasion pour le juge administratif d’affirmer ou rappeler que :
• les tableaux de gardes et astreintes sont des mesures d’organisation du service insusceptibles de recours,
• les décisions individuelles accordant ou refusant des gardes ne sont, quant à elles, pas des mesures d’ordre intérieur (autrement dit, elles peuvent être contestées en justice),
• un praticien hospitalier ne peut être écarté de ses gardes que dans l’intérêt du service,
• un requérant n’est pas obligé de chiffrer son préjudice dans sa réclamation préalable.