Incendie du train Paris Munich - Premier jour du procès : Le récit d’un rescapé au sang froid impressionnant
14 Mars 2011 : Premier jour du procès.
Aujourd’hui s’ouvrait le procès de l’accident de train survenu dans la nuit du 6 novembre 2002 sur la ligne Paris-Munich ayant entrainé le décès de douze des passagers.
La matinée s’engage par une demande de nullité de procédure présentée par l’un des avocats de la SNCF, Me Quentin qui a immédiatement donné la position de la compagnie : elle fait l’objet d’une poursuite anormale, décidée par le procureur au dernier moment de la procédure dans un but étranger aux nécessites de la justice, ayant fait l’objet d’une publicité profondément anormale par le procureur de Nancy.
L’idée est que tout est de la faute du Stewart, Volker JANZ et de la DB (DeutscheBahn), la SNCF étant elle même la première victime de l’incompétence et des manquements à la sécurité démontrés par ses coprévenus.
Après une heure de débat, l’incident est joint au fond et le procès commence enfin.
La présidente l’annonce dès le départ, il s’agira ici de « faire du droit » pour déterminer les responsabilités de chacun dans ce tragique accident.
Cette première matinée est consacrée à essayer de retracer la chronologie des évènements. Tâche quelque peu malaisée parfois au regard de la longue période qui sépare ces évènements de l’audience. C’est pourquoi les avocats et le tribunal demandaient aujourd’hui aux témoins de faire un « effort de mémoire » afin de reconstituer au mieux la trame de l’accident. A ce titre étaient cités deux agents de la SNCF, MM. STOTE et CHRETIEN et deux sapeurs pompiers MM. GUDEFIN et GONCALVES.
- Le premier témoin à intervenir est M. STOTE Pascal. Agent SNCF, M. STOTE est, dans la nuit du 6 novembre 2002, en train d’effectuer des travaux de remplacement d’aiguillage en gare de Nancy. C’est à ce moment, vers 2h10 qu’il aperçoit une fumée blanche s’échapper du train Paris-Munich. Avec deux de ses collègues il se dirige vers le lieu où le train a arrêté sa course, muni d’extincteurs. Arrivé sur les lieux, il constate qu’ils ne lui sont d’aucun secours étant donné l’intensité du brasier. Il se rappelle aussi ne pas avoir pu ouvrir les portes avec sa clé de berne.
A la question de savoir si muni d’une clé de berne qui fonctionnait il aurait été possible d’entrer pour éteindre le feu le témoin répond par la négative.
Du fait de l’absence de bruit et de lumière, mais surtout parce qu’il a constaté que le wagon était fermé et ne s’ouvrait pas à la clé de berne, le témoin affirme qu’il a cru jusqu’à l’arrivée des pompiers que le wagon était inoccupé.
- M. CHRETIEN travaille au central sous station le jour de l’accident. C’est à cet endroit qu’il voit arriver M. MOMMER, un autre agent, vers 2h10, lui demandant de couper le courant en urgence. Il ne lui faut que quelques secondes pour exécuter cette opération. Sur demande de la présidente, M. CHRETIEN précise que son intervention comprenait en réalité deux étapes : la première étant de couper le courant pour arrêter le train et la seconde était de mettre à terre les caténaires pour créer un périmètre de sécurité pour permettre l’intervention des secours. La première de ces étapes a duré quelques secondes. Il a ensuite demandé à M. MOMMER de le tenir informé de la suite des évènements.
Dans ces cas là, précise M. CHRETIEN, « on agit, on pose les questions après. »
- M. GUDEFIN, sapeur pompier à la caserne de JOFFRE composait un binôme d’attaque avec M. TISSERANT. Ce n’est qu’en arrivant sur les lieux qu’ils apprennent qu’il y a des personnes dans le wagon.
M. GUDEFIN souligne que l’accès au train était très difficile, il fallait passer des grilles munies de pointes ce qui a pris environ 1 à 2 minutes selon ses dires.
Du feu sort des fenêtres, il positionne sa lance et commence à arroser. Son collègue essaye d’ouvrir la porte pendant 30 secondes / une minute mais abandonne face à la résistance qu’elle présente. A ce moment là ils ont l’idée de passer par le wagon suivant mais la porte d’intercommunication est bloquée par des débris provenant de l’incendie qui fait rage à cet endroit, ils ressortent. A force d’acharnement, ils réussissent à ouvrir la porte arrière droite et entrent dans le wagon. Ils trébuchent sur un premier corps qu’ils évacuent.
Madame la présidente demande à M. GUDEFIN si l’on peut résumer ainsi les évènements :
- 2h15 : appel des pompiers
- 2h22 : arrivée des secours
- 2h26 : arrivée des renforts
- 2h35 : entrée du premier binôme dans la wagon.
M. GUDEFIN approuve.
Répondant à la question de la présidente il affirme par ailleurs qu’il n’était pas possible selon lui d’entrer dans le wagon sans aide respiratoire.
- M. GONCALVES, sapeur pompiers qui était alors en binôme avec M. JANIN se souvient qu’avec son collègue ils sont intervenus par l’avant gauche du train. La porte étant fermée ils brisent une vitre, vraisemblablement la première ou la deuxième des fenêtres près de la porte, avec le tonfa[1] d’un policier présent sur les lieux. C’est par cette fenêtre qu’ils entrent. En faisant demi-tour pour avancer vers la porte, ils découvrent plusieurs corps empilés dans le couloir. On n’aura pas manqué de noter pendant l’audience que la place exacte de ces corps est un élément important du débat. Le témoin affirme que les corps se trouvaient à deux mètres au plus de la porte, qu’il ne peut dire s’ils étaient juste derrière. L’évolution dans le wagon est difficile, la chaleur, presque insupportable, et la visibilité « zéro » l’obligent même à rebrousser temporairement chemin pour fuir la fournaise. Pour lui comme pour son collègue avant, il est impossible de pénétrer dans le wagon sans aide respiratoire et tenue spéciale.
Cet après midi est arrivé à la barre, un témoin, il faut le dire, des plus attendus par les avocats et le tribunal.
Jean Jacques GREFFET, à l’époque professeur de physique à l’école Centrale de Paris[2], est l’un des huit rescapés du wagon 120. Lors de ses auditions par la police, il avait expliqué comment il avait réussi à briser la vitre de son compartiment avec le marteau brise-vitre, faisant de lui la seule personne à s’être effectivement servi de cet instrument.
« M. GREFFET, je tiens à vous dire que vous nous avez tous bluffé ! » lui annonce Maître CHEMLA au cours des débats. « Bluffé » c’est le mot. En effet, si le témoignage de M. GREFFET était si attendu c’est que ses dépositions laissaient déjà apparaître avec quelle maîtrise il avait réussi à gérer la situation.
Fidèle à ses premières déclarations, le témoin relatait encore à la barre cet après midi avec une précision millimétrique comment il a réussi à s’extraire du wagon.
M. GREFFET explique qu’il a pour habitude de toujours « faire le tour du propriétaire » lorsqu’il entre dans un endroit inconnu, chambre d’hôtel ou train, et de repérer les issues de secours. Pourtant, c’est en cherchant un verre pour boire qu’il découvre, par hasard, le marteau brise vitre dans l’armoire qui surplombe le lavabo de son compartiment (il n’a pas vu les étiquettes indiquant en quatre langues son emplacement). Il le sort de l’armoire, l’observe et le remet en place. Il saura le retrouver au moment opportun.
Mais, en plus, M. GREFFET a le sommeil léger. Cette nuit là ce sont des cris (« raus ! ») qui le réveillent. Pensant d’abord à une tentative de le faire sortir du wagon pour le dérober (il ne parle pas allemand) il reste « plusieurs minutes » au lit avant de décider de s’habiller et de faire sa valise « à tout hasard ». Ce n’est que lorsqu’il aperçoit des volutes de fumée passer sa porte qu’il décide de passer par la fenêtre.
Il sait pour l’avoir lu sur les notices affichées sur les portes d’hôtel qu’il ne faut surtout pas ouvrir la porte à ce moment là. Pourtant, ce n’est pas sans hésitation qu’il va se décider à briser la vitre. En effet, n’ayant pas entendu de message d’alerte, il a peur de se voir reprocher son geste par la SNCF. « Même lorsqu’un RER s’arrête 5 minutes on a une information. Jamais je n’aurais imaginé que pour un évènement aussi grave on puisse ne pas en avoir » s’indigne-t-il. C’est la présence d’une autre passagère sur les voies (Mme MERCIER qui, citée, ne sera finalement pas venue déposer aujourd’hui) qui le décide.
Une fois sorti il tentera, vainement, de briser les autres vitres (et en particulier celle contre laquelle Mme MERCIER avait vu un enfant, le visage collé essayant désespérément de sortir) pour sauver d’autres personnes. Il sera obligé d’abandonner du fait de la mauvaise position dans laquelle il se trouvait (à 2m sous les vitres). « Pour moi ils [les autres passagers] étaient sortis par le couloir » affirme-t-il, « c’était inconcevable que les portes du couloir puisse être fermées, je n’ai appris que 2h plus tard qu’il y avait des morts ».
Le temps des questions reste marqué par la très grande maitrise du témoin. Professeur de physique, il sait que le marteau brise vitre n’est pas là pour (comme son nom ne l’indique pas) briser la vitre mais pour la fendiller, le reste de l’opération devant se faire au pied ou à la main pour faire tomber les débris sur le sol. Il sait que ce sont ses connaissances personnelles qui l’ont sauvé et reproche encore le manque cruel d’information pendant l’accident.
Les échanges particulièrement véhéments entre Maître LAFARGE l’avocat de M. JANZ, le steward allemand et Maître Robinet, avocat de la SNCF, qui auront certainement gêné le travail des interprètes anglais et allemands postés au fond de la salle, n’auront pas le moins du mondé ébranlé le témoin. Affichant la sérénité dont on ne doutait plus qu’elle soit l’expression de son caractère, M. GREFFET a témoigné de son ressenti pendant et postérieurement à l’accident, reprochant beaucoup aux institutions (la SNCF et la DB) et peu à l’homme, M. JANZ, qu’il a dit « affecté » par l’accident survenu dans un wagon dont il semblait se sentir « responsable » se présentant néanmoins comme celui « qui a fait une bêtise » selon les termes de M. GREFFET. Pour lui, l’idée d’aller chercher de l’aide comme a affirmé vouloir le faire M. JANZ en sortant du wagon n’était pas choquante en soi ; ce comportement soulève plutôt selon lui deux interrogations : celle de savoir si la procédure à suivre était pertinente et celle de savoir si elle a été appliquée.
En l’absence de Mme MERCIER qui, convoquée, n’est malheureusement pas venue déposer, la présidente a ensuite rappelé les positions des autres survivants du wagon 120.
Þ Mme MERCIER et Mme WORMAN, après avoir tenté de briser les vitres avec une brosse à cheveux, ont réussi à sortir de leur wagon en poussant avec leurs pieds, avec toute la force du désespoir, la vitre de leur wagon qui est finalement tombée sur le sol après s’être désoclée. Une fois à l’extérieur, Mme MERCIER qui est sortie la première a aperçu un enfant le visage contre une fenêtre[3]. C’est à ce moment là que M. GREFFET est sorti et l’a aidée à lancer des cailloux sur la fenêtre désignée. En vain.
Þ M. ABACI partageait son compartiment avec M. MUCHALEK, ils ont été réveillé par l’odeur de la fumée et ont utilisé l’échelle pour défoncer la vitre et sortir.
Þ MM Hearn, Pohlmann et Giraud ont aperçu l’incendie alors que le train roulait encore, alertés par des cris d’enfant (le compartiment des deux enfants décédés dans le drame était à côté du leur) et de la fumée. Ils sont sortis en passant par la vitre grâce à l’échelle.
Le dernier témoin de la journée est le Docteur Peton, médecin légiste. Il explique à la barre que les décès sont dus à une intoxication par deux gaz : le monoxyde de carbone d’une part et des dérivés cyanidriques d’autre part. Les corps retrouvés étaient tous couverts de suie ce qui implique une forte exposition aux fumées remplies de débris charbonneux - que l’on a par ailleurs retrouvé dans l’appareil respiratoire - mais peu d’entre eux étaient brulés (3 en réalité présentait des brulures mais de façon très partielles). Interrogé par la suite sur ce thème, il était catégorique sur le fait que ce n’est pas l’inspiration de gaz chauds mais bien la toxicité du milieu qui a entrainé les décès.
Sollicité par des questions tant du tribunal que des avocats, le médecin n’a pourtant pas pu éclairer certains points encore obscurs concernant le décès des victimes. En particulier il lui est impossible d’établir une chronologie des décès, même face à des constatations de taux différents de gaz dans les analyses de victimes qui ont pourtant péri dans le même wagon. De même, les lésions présentées par toutes les victimes qui, avant de rejoindre le laboratoire ont subi plusieurs déplacements, ne lui permettent pas de déterminer quels étaient les corps retrouvés dans le couloir (et en particulier celui que les pompiers ont trouvé « collé » au sol) et ceux des cabines. Il regrette d’ailleurs de ne pas avoir eu connaissance des lieux dans lesquels ont été retrouvées les victimes (l’opacité de la fumée dans le wagon n’a pas permis aux pompiers de le préciser), information qui selon lui aurait pu avoir son importance. De même, si l’expert est formel sur le fait que l’inhalation de gaz toxiques réduit à quelques minutes le temps de vie restant aux victimes, il lui est impossible de savoir effectivement combien de temps ont survécu celles examinées, faute d’information sur l’atmosphère respiré.
En d’autres termes, la journée semble marquée par autant de réponses que de questions. On retiendra celles-ci : si l’éclairage sur le déroulement exact des évènements dans les cabines des victimes décédés avant et pendant l’intervention des victimes sera difficile à faire pendant ces deux semaines, une chose est sure : plus d’information (tant sur l’incendie que sur la procédure à suivre en pareille situation) aurait sans doute permis que l’on ne se pose pas la question.
Demain, 15 Mars 2011, l’interrogatoire de M. Volker JANZ nous éclairera sans doute encore un peu plus sur le partage des responsabilités. Responsabilité que, dès le premier jour d’audience, chacun des co-prévenus se rejette…
[1] Bâton de défense
[2] Une des plus prestigieuse école d’ingénieurs française.
[3] Un des jeunes enfants de la famille AMORE décimée dans l’incendie