La fermeture d’un commerce lors d’un confinement permet-elle une exonération de paiement du loyer commercial ?
Un épisode de plus dans le feuilleton opposant le bailleur au preneur. Il aura fallu attendre la fin de l’année 2020 pour que la Cour de cassation se positionne sur la perte d’exploitation du preneur, par suite des confinements imposés par la période sanitaire. Cette décision, très commentée, en a presque fait oublier une décision de première instance rendue début 2021 par le Juge de l’exécution près du Tribunal Judiciaire de PARIS.
Le litige, porté devant le Juge, interrogeait d’une manière simpliste sur le point suivant : étant bénéficiaire d’un bail commercial et s’étant vu imposer une fermeture administrative obligatoire lors du premier confinement, le preneur était-il dans l’obligation de régler son loyer correspondant à la période de fermeture imposée ?
A première vue, la réponse pourrait sembler simpliste : qui dit fermeture, dit absence de paiement du loyer. Mais ce serait oublier la rigueur des relations entre le bailleur et le preneur posées et encadrées par le Code de commerce, qui n’entend pas permettre au preneur indélicat de ne pas régler un loyer sur des fondements injustifiés ou des motifs fantaisistes.
D’autant plus que comme tout contrat, le bail commercial se trouve aussi régi par les dispositions du Code civil, qui accorde beaucoup d’importance au respect de la relation contractuelle et veille donc à la préserver autant qu’il le peut. Car les textes sont aussi garants d’un contrat en équilibre qui, s’il n’est plus respecté, doit amener à se réinterroger sur la relation entre les parties.
C’est ce que semble rappeler la décision considérée.
Le Juge de l’exécution fait application, comme d’autres décisions avant lui, de la perte « juridique » du local, sur la base de l’article 1722 du Code civil, qui aborde cependant, de manière littérale, la perte « matérielle » d’un local loué.
L’article 1722 dispose en effet ainsi qu’il suit : « Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement ».
Cette référence audit article peut donc surprendre, mais finalement pas tant que cela.
Tout d’abord, le texte pose la nécessité d’un « cas fortuit », à savoir « un événement indépendant de la volonté des parties et ne pouvant être imputé à aucune d’elles, notamment l’absence de faute du bailleur ou d’un manquement à ses obligations ».
Si cette définition, héritée tout droit du Code Napoléon de 1801 (du nom du créateur du Code civil), elle a pu survivre jusqu’à ce jour par l’évidence du principe posé, même si l’ordonnance de 2016 réformant le droit des contrats a supprimé toute référence au cas fortuit dans le droit commun des contrats, qui se confondait trop souvent avec la force majeure.
Le Code civil dispose d’ailleurs désormais, sous l’article 1218 : « Il y a force majeure, en matière contractuelle, lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur »
Mais que l’on aborde l’une ou l’autre de ces notions, nul doute que la pandémie n’était pas programmée et que le confinement, décidé par l’exécutif français, a été subi par le preneur à bail commercial sans aucun recours possible (ou oreille attentive) sur le problème de son arrêt brutal d’activité.
Le Juge de l’exécution s’est aussi certainement appuyé sur les décisions ayant déjà, par le passé, reconnu qu’une décision administrative pouvait caractériser un cas fortuit.
Ainsi, la Cour de cassation avait jugé, dès 2007, que le cas fortuit était caractérisé par « un arrêté administratif de fermeture d’un centre commercial, dès lors que les circonstances à l’origine de cette décision ne pouvaient pas être imputées au bailleur ».
Il était donc tentant pour le Juge de retenir la destruction « juridique » (et bien entendu pas « matérielle ») des locaux loués, sur la base d’un confinement et d’une fermeture administrative imposée au preneur, pour débouter son créancier (le bailleur) de son action tendant à se faire régler ses loyers.
La solution de l’équation est posée en termes simples : la fermeture administrative du commerce équivaut à une perte partielle du local loué, le loyer correspondant à la période de fermeture n’est donc pas dû. Reste à savoir si la Cour de cassation adhérera à cette vision extensive. Car à ce jour, l’impossibilité de l’usage, qui doit concerner le local lui-même, doit surtout être définitive.
Or, le premier confinement a pris fin à une période donnée.
Mais même si le preneur a pu rouvrir son commerce, le deuxième confinement l’a vite remis dans une situation déjà bien connue de fermeture administrative (qu’il vit d’ailleurs peut être aujourd’hui pour la troisième fois).
Cette répétition des fermetures administratives ne peut-elle pas impliquer une privation dans la jouissance normale du bien loué et une impossibilité caractérisée de l’exploitation dudit local ?
Ce d’autant plus que cette répétition de fermetures imposées pourrait conduire à des difficultés économiques, qui pourront alors mener une perte du local loué, cette fois matérielle et définitive.
Et ne pourrait-on pas considérer qu’aucun loyer n’était exigible durant chacune des périodes de fermeture ?
D’autant plus qu’une récente décision de la Cour d’appel de Versailles du 4 mars 2021 a retenu qu’« en application de l’article 1722 est constant que même s’il n’y a pas destruction physique du bien objet du bail, il y a juridiquement perte lorsque le locataire ne peut plus jouir de la chose louée ou ne peut plus en user conformément à sa destination (…) Ainsi, il en résulte que les locaux loués ont été soumis à l’interdiction d’ouverture puis à l’interdiction pour la population de se déplacer. Il est ainsi établi que durant la période concernée, la société n’a pu ni jouir de la chose louée, ni en user conformément à sa destination. Dans ces conditions, l’allégation par le locataire de la perte partielle des locaux loués en application des dispositions de l’article 1722 du code civil revêt le caractère d’une contestation sérieuse opposable à son obligation de payer le loyer et les charges pendant la période de fermeture contrainte du commerce ».
La Cour d’appel de PARIS vient d’admettre à son tour, près d’un an après l’arrêt susvisé, que « la destruction de la chose louée peut s’entendre de la perte matérielle de la chose louée mais aussi d’une perte juridique, notamment en raison d’une décision administrative et la perte peut être totale ou partielle, la perte partielle pouvant s’entendre de toute circonstance diminuant sensiblement l’usage de la chose. La perte partielle de la chose louée peut être définitive mais également temporaire.
En l’espèce la société … a subi une perte partielle de la chose louée puisqu’elle n’a pu ni jouir de la chose louée ni en user conformément à sa destination pendant les périodes de fermeture administrative d’une durée de 56 jours ainsi qu’il a été constaté précédemment ».
Reste donc à attendre, si la procédure allait jusqu’à eux, que les sages de la Cour de cassation se prononcent et fixent une règle, au risque évidemment de mécontenter l’une des parties. Cette dernière aurait pu a saisir de la demande d’avis sollicité en juillet 2021 pour clarifier la situation, ce fut une occasion manquée (Avis du 6 octobre 2021, n° K 21-70.013). Dans cette attente, la situation du preneur et du bailleur mérite d’être attentivement étudiée.