Procès du TGV EST – Une audience technique laissant les parties civiles sans réponse

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TJ Paris

À l'approche de la date du délibéré le 10 octobre prochain, le Cabinet vous propose un article rétrospectif sur le procès du TGV Est.

Après le terrible accident ferroviaire survenu le 14 novembre 2015, 8 ans d’instruction et 9 semaines de procès, le processus judiciaire s’achève pour les victimes du déraillement du TGV à Eckwersheim (Bas-Rhin).  

Au lendemain des attentats de Paris, à 15h04, un TGV d’essai effectuant des tests en survitesse a abordé une courbe à 265 km/h au lieu des 176 km/h prévus à cet endroit, soit un dépassement de vitesse de 90 km/h. Le train a déraillé 200 mètres plus loin à une vitesse d’environ 243 km/h, percutant le pont du canal de la Marne au Rhin. 

Parmi les 53 passagers présents à bord du TGV, 35 d’entre eux étaient des invités venus assister à cet essai sur l'ultime portion de la nouvelle ligne à grande vitesse (LGV) entre Paris et Strasbourg avant son ouverture au public, initialement prévue au printemps 2016. 

Cet accident a coûté la vie à 11 personnes et 42 passagers ont été blessées, certains grièvement. 

Très rapidement, les experts ont établi que les causes directes de l’accident étaient la vitesse excessive du train dû à l’enclenchement du freinage trop tardif par l’équipe de conduite. Cependant, de nombreuses causes indirectes tenant aux lacunes dans la préparation, l’organisation et le déroulement des essais ont été relevé par les experts et les enquêteurs.

  • Lacunes dans l’organisation et la préparation des essais 

Les experts ont d’abord relevé que le manque de communication entre la SNCF et SYSTRA avait conduit cette dernière à ne pas prendre en compte certaines informations essentielles sur les restrictions de vitesse avant la courbe, pourtant transmises par la SNCF.

Précisons que la SNCF n’a pas réagi aux propositions de SYSTRA de rouler à une vitesse supérieure à celle initialement prévue et à la suppression d’un palier de décélération avant la courbe.

SYSTRA avait décidé de supprimer des marches à des vitesses inférieurs de celles réalisées le jour de l’accident, ce qui a conduit l’équipe de conduite à passer sur ce segment pour la première fois en survitesse, sans avoir eu le temps d’effectuer des montées en vitesse progressives. 

Cette carence n’a pas permis aux équipes de prendre conscience de la difficulté et de la gravité de la transition de vitesse, l’ensemble des acteurs étant en outre débutants dans les essais dynamiques et insuffisamment formés aux essais en survitesse. Aucune formation ne leur avait été délivrée sur la spécificité des essais en survitesse. 

Lors du procès, la SNCF a tenté de soutenir que les essais en survitesse ne différaient pas de la conduite commerciale, en expliquant notamment : « Pour le cas des essais dynamiques, il n’y a pas de geste métier spécifique. Il y a du savoir-faire à avoir pour tenir le palier, cela demande du métier, de la concentration, mais il n’y a pas de compétences spécifiques à avoir. »

L’évaluation des risques avait également été largement négligée par les différents acteurs. Ni SYSTRA, ni l’AEF n’avaient évalué les risques de la survitesse, et le risque de déraillement dû à la survitesse avec désactivation des systèmes de freinage d’urgence.

Les distances de freinage pour atteindre certains paliers n’avaient pas été prises en compte, ce qui a conduit le train à dépasser la vitesse de basculement.

La SNCF avait, pour pallier la désactivation des systèmes de freinage, installé un logiciel de surveillance de la vitesse sur l’un des ordinateurs de ses ingénieurs : or, ce logiciel n’a pas fonctionné lors de l'accident et l'ordinateur n'a jamais été retrouvé, même après la fouille du canal. Il ressort des éléments de la procédure que SYSTRA n’était pas informée de la présence de ce logiciel dans la rame d’essai.

  • Lacunes dans le déroulement des essais 

Aucun briefing d’après-marche n’a été réalisé pour les essais précédent durant lesquels un presqu’accident avait eu lieu le 11 novembre (avec un dépassement de près de 95km/h) lorsque le train circulait à une vitesse bien au-dessus de la vitesse préétablie, mais heureusement sur une portion de rame droite et non en courbe. 

A l’issue de cet essai, une consigne de freinage spécifique aurait été donnée par le cadre-traction (chargé de la sécurité dans le train) au conducteur afin que le freinage soit maintenu. Mais aucun élément du dossier ne permet de démontrer que cette consigne ait été effectivement donnée, du moins comprise par le conducteur.

Il n’y a pas non plus eu de briefing d’après-marche le 14 novembre au matin, alors le freinage avait été déclenché 2,5 km plus tôt que ce que les consignes prévoyaient sur la portion de rame où l’accident a eu lieu quelques heures plus tard. Cela a conduit l’équipe de conduite à surestimer leurs marges de freinage lors de l’essai de l’après-midi, en repoussant le freinage initialement prévu au PK401 au PK402. 

Pour les 89 parties civiles, la seule question qui demeure à l’issue de l’instruction est de savoir comment un tel drame a-t-il pu se produire, alors que les essais étaient opérés par la SNCF et sa filiale SYSTRA, figure de proue de l’industrie ferroviaire ?  

Depuis le 4 mars, la parole a été donnée aux trois membres de l’équipe de conduite mis en examen ainsi qu’à SNCF Mobilité (sous-traitant en charge de la conduite), SNCF Réseau (maître d’ouvrage) et SYSTRA (intégrateur), ainsi qu’à une multitude de témoin (conducteur, cadre-traction, ingénieurs etc.), avant que le tribunal entende les témoignages des parties civiles. 

Tout au long de l’audience, les six prévenus, tant personne physiques que morales, n’ont cessé de se rejeter mutuellement la responsabilité des fautes qui ont conduit au drame et de se défausser sur les absents. Si la SNCF a tenu sa posture “responsable mais pas coupable”, SYSTRA a martelé durant toute l’audience n’avoir commis aucune faute. 

Pour Me Chemla, représentant une cinquantaine de parties civiles, le drame est survenu à la suite de négligences et d’erreurs évitables et incompréhensibles.  L’avocat insiste sur le manque de préparation du personnel « Dans l'équipe de conduite, on a des gens qui ne savent pas réellement calculer une distance de freinage. »  

Interrogé en garde à vue sur la distance nécessaire pour passer de 360km/h à 0km/h, les réponses de l’équipe de conduite sont édifiantes.

L’avocat souligne aussi que le risque de déraillement n'a jamais été abordé durant la carrière des conducteurs d'essai, laissant le personnel de bord dans l’ignorance des risques qu’ils encouraient. Il rappelle également que risque de déraillement du TGV avait totalement été sous-évalué par les différents acteurs dans la documentation préalable de ce marché public.  

Me Chemla affirme par dérision « Comme le Titanic, vendu comme insubmersible, le TGV ne pouvait dérailler. Il ne pouvait rien lui arriver… ». 

Au cours des 9 semaines d’audience, la douleur des victimes et de leurs familles a pu être entendue par la voix de leurs avocats, lors des questions aux témoins et aux prévenus. 

« On a envie d'avoir en face de soi des personnes qui assument, qui disent réellement ce qui s'est passé, qui ne se défaussent pas. Pour l'instant, soyons clair, ce n'est pas ce qui s'est passé. » 

A plusieurs reprises, Me Chemla a souligné l’impatience et l’incompréhension de ses clients, lassés d’entendre des prétextes et une minimisation des responsabilités, en lieu et place d’explications concrètes sur les évènements qui ont conduit au déraillement. 

Le 13 mai, le Ministère public a requis le maximum à l’encontre de SYSTRA, soit 225 000€ d’amende. Pour SNCF Mobilité et SNCF Réseau, toutes deux en état de récidive légale, deux fois 200 000€ et deux fois 150 000€ ont été respectivement requis.  

Concernant les personnes physiques, la relaxe a été requise pour le pilote traction, son rôle ayant été considéré comme non déterminant dans la survenance de l’accident. Le procureur a requis 2 ans de prison avec sursis pour le cadre transport traction et 1 an avec sursis pour le conducteur de la rame. Le Procureur a pointé leur rôle respectif dans la prise de décision ayant conduit à retarder le point de freinage du train du PK401 au PK402.  

Malgré ces 2 mois de procès, aucune réponse convaincante n’a été apportée lors des débats pour les parties civiles.  

« Mes clients espéraient que la vérité serait écrite noir sur blanc » déplore Me Chemla.  

 

Par Candice Limoge & Elsa Faubert-Vahramian

 

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Elsa FAUBERT VAHRAMIAN
Avocat