Mercredi 15 mai, un avocat du barreau de Chartres a été retenu au commissariat de police pour avoir refusé de témoigner au sujet de l’un de ses anciens clients.
Un mandat d’amener avait été délivré à son encontre pour le conduire devant la Cour d’assises de Grenoble pour témoigner au sujet d’un de ses anciens clients. L’avocat avait informé la Cour qu’il ne souhaitait pas témoigner, tenu au secret professionnel le contraignant à ne divulguer aucune information relative à ses clients. L’avocat avait alors été interpellé à son cabinet et retenu pendant plusieurs heures en geôles du fait de son refus de témoigner.
Cet incident permet de rappeler l’importance et les enjeux du secret professionnel de l’avocat.
Le secret professionnel est compris comme l’obligation, pour les personnes qui ont eu connaissance de faits confidentiels dans l’exercice ou à l’occasion de leurs fonctions, de ne pas les divulguer en dehors des cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret[1]. Ce secret professionnel s’applique aux avocats dans les domaines du conseil et de la défense.
Le secret professionnel de l’avocat permet de protéger les intérêts du client en garantissant son droit à un procès équitable, prévu notamment par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH). Il est notamment garanti au cours des procédures pénales par l’article préliminaire du Code de procédure pénale (CPP).
L’article 2 du Règlement Intérieur National de la profession d'avocat (RIN) précise les trois principaux caractères du secret professionnel de l’avocat. Ce dernier est général, absolu et illimité dans le temps. Ainsi, l’avocat ne peut en être délié ni par son client, ni par l’Ordre. De plus, le secret perdure une fois la mission d’assistance ou de défense terminée et cela, même au-delà de la mort de l’ancien client.
Le secret est en principe impossible à lever. En ce sens, l’article 4 du décret du 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats et l’article 2 du RIN prévoient que l’avocat ne doit commettre aucune divulgation contrevenant au secret professionnel, même en cas de décès du client, sauf exceptions strictement prévues par la loi.
Les éléments protégés par ce secret sont limitativement énumérés à l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 et à l’article 2 du RIN. Sont ainsi couvertes par le secret professionnel et ne peuvent donc pas être divulguées : les consultations adressées par un avocat à son client, les correspondances entre l’avocat et le client, entre l’avocat et ses confrères (sauf correspondances officielles), les notes d’entretien et plus généralement toutes les pièces du dossier et toutes informations et confidences reçues par l’avocat dans l’exercice de sa profession.
En pratique, l’exigence du secret professionnel de l’avocat impacte principalement deux domaines judiciaires : les correspondances et les perquisitions.
Les correspondances de l’avocat avec son client ou avec un confrère ne peuvent être interceptées ou utilisées, sauf si ces dernières portent la mention officielle comme le précise l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971. Par conséquent, lorsque le client est en détention ses correspondances avec son avocat ne peuvent être ouvertes par les surveillants pénitentiaires. L’alinéa 3 de l’article 100-5 du CPP prévoit que ne peuvent être transcrites les correspondances avec un avocat relevant de l’exercice des droits de la défense, à peine de nullité.
L’article 3 du RIN dispose que tous les échanges entre avocats, verbaux ou écrits quel qu'en soit le support, sont par nature confidentiels et qu’ils ne peuvent en aucun cas être produites en justice, ni faire l’objet d’une levée de confidentialité.
Les perquisitions, déjà très strictement encadrées par le code de procédure pénale, le sont d’autant plus lorsqu’elles sont effectuées au cabinet d’un avocat ou à son domicile. L’article 56-1 du CPP dispose qu’une telle perquisition ne peut être réalisée que par un magistrat et en la présence du bâtonnier ou de son délégué.
Le bâtonnier aura la possibilité s’opposer et de contester la saisie d’un document ou d’un objet s’il estime que la saisie est irrégulière. Aucune saisie ne peut concerner des documents ou des objets relatifs à d'autres infractions que celles visées. Il reviendra alors au JLD de statuer sur la contestation dans un délai de 5 jours. Lors de l'audience de contestation de saisie, l’avocat ne peut être privé du droit d'être assisté d'un avocat.
Une décision écrite et motivée prise par le juge des libertés et de la détention (JLD) indiquant la nature de l'infraction, les raisons justifiant la perquisition, l'objet de celle-ci et sa proportionnalité au regard de la nature et de la gravité des faits est obligatoire dans un tel cas de figure.
Ces restrictions ont pour finalité de protéger le secret professionnel de l’avocat, même lorsque ce dernier est mis en cause dans le cadre d’une procédure pénale. Le même régime s’applique aux visites domiciliaires. Les affaires de l’avocat (sac à main, porte-document), considérée comme la prolongation de son cabinet, ne peuvent être fouillés car elles sont également couvertes par le secret professionnel. Ce dernier point est régulièrement l’objet de critiques, certaines juridictions et commissariat imposant aux avocats la fouille visuelle des sacs des avocats.
Si en principe le secret professionnel de l’avocat est général, absolu et illimité dans le temps, certaines situations déterminées et précises peuvent conduire à la levée de ce secret pour différents motifs.
Le secret professionnel peut être écarté par l’avocat lui-même pour assurer sa propre défense, comme le prévoit l’article 2 du RIN et l’article 4 du décret du 30 juin 2023. Ainsi, un avocat pourra procéder à des révélations et utiliser des éléments normalement couverts par le secret professionnel, pour assurer sa défense lorsqu’on lui reproche d’avoir commis une infraction. La Cour de cassation a pu donner raison à un avocate considérant que L'obligation au secret professionnel d'un avocat ne saurait lui interdire, pour se justifier de l'accusation dont il est l'objet et résultant de la divulgation par un client d'une correspondance échangée entre eux, de produire d'autres pièces de cette même correspondance utile à ses intérêts (Cass. Crim., 29 mai 1989, n°87-82.073).
Selon les dispositions de l’article 226-14 du Code pénal, l’avocat peut passer outre son secret professionnel et informer les autorités judiciaires, médicales ou administratives de maltraitances, de privations ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique. Cette possibilité de l’avocat n’est pas une obligation : il garde la faculté de pouvoir dénoncer ou non son client. L’avocat qui apprend de son client qu’il entretient des relations incestueuses criminelles avec sa fille demeure libre, face à sa seule conscience de fournir ou non son témoignage sans que le juge puisse le relever de son secret professionnel et l’oblige à témoigner s’il ne le souhaite pas (Cass. Crim., 6 octobre 1999, n°97-85.118).
Le secret professionnel peut également être levé lors d’une perquisition, dans le cas d’une présomption de participation à une infraction pénale. C’est cette hypothèse que réglemente l’article 56-1 du Code de procédure pénale. Lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de l'avocat, elle ne peut être autorisée que s'il existe des raisons plausibles de le soupçonner d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l'infraction qui fait l'objet de la procédure ou une infraction connexe. Ainsi, si un secret vient à être révélé aux besoins de l’enquête, ce ne sera pas à l’encontre du client mais seulement de son avocat suspecté d’avoir commis une infraction.
En l’espèce, un avocat au barreau de la Guadeloupe a été mis en cause et le juge d’instruction a procédé à des perquisitions, avec l’autorisation du JLD, au cabinet de cet avocat. Le contenu du téléphone portable de l’avocat avait été saisi et le délégué du bâtonnier s’était alors opposé à la saisie au motif de son caractère global. Un expert avait alors été désigné pour extraire seulement les éléments correspondant à une liste de mots-clés. (Cass. crim., 5 mars 2024, n° 23-80.229).
La chambre criminelle de la Cour de cassation a récemment rejeté le pourvoi d’une avocate dont le cabinet avait été perquisitionné dans le cadre d’une information des chefs d'association de malfaiteurs terroriste et de provocation directe à un acte de terrorisme commise au moyen d'un service de communication au public en ligne. Les sages avaient alors écarté le pourvoi de l’avocate fondé sur le secret professionnel par l’absence de relation avocat-client entre cette dernière et le mis en cause. Cet arrêt permet de préciser que le secret professionnel ne peut pas exister si une relation avocat-client n’est pas avérée. (Cass. crim., 5 mars 2024, n° 23-80.110).
Enfin, le secret professionnel de l’avocat peut être écarté pour certaines infractions limitativement énumérées à l’article 56-1-2 du CPP. Le secret ne peut être opposé aux mesures d’enquête ou d’instruction lorsqu’elles sont relatives à la fraude fiscale, au financement d’une entreprise terroriste, à la corruption, au trafic d’influence ou au blanchiment de ces délits, sous réserve que les consultations, correspondances ou pièces détenues ou transmises par l’avocat ou son client établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission de ces infractions.
L’article L. 561-2 du Code monétaire et financier énumère les professionnels soumis à l’obligation de vigilance et de déclaration de soupçon aux autorités compétentes lors des activités limitativement dénombrés à l’article L. 561-3 de ce même code.
Les avocats sont donc soumis à ces obligations de vigilance et de déclaration de soupçon puisque mentionnés au premier article susvisé. Ils sont tenus de signaler à Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), service spécialisé du ministère du Budget, de l'Économie et des Finances, les sommes ou opérations dont ils savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’une des infractions détaillées au-dessus. Les avocats ont notamment été incité à rester vigilants sur ce point par le Conseil national des barreaux le 25 février 2022 à la suite des mesures prisent à l’encontre de la Russie dans le cadre de son invasion de l’Ukraine.
Dans la continuité des vérifications faites par les avocats de leurs clients pour déterminer s’ils font l’objet de mesures de sanctions ou entretiennent des relations commerciales avec des personnes visées par des sanctions, les membres de l’ordre ont alors dû intensifier leur contrôle. En effet, le règlement 2022/1904 de l’Union Européenne a posé l’interdiction de fournir, directement ou indirectement, des services de conseil juridique au gouvernement de la Russie et à des personnes morales, entités ou organismes établis en Russie.
Dès lors, si Cédric Hélaine constatait en 2023 « une certaine diminution du secret professionnel de l'avocat » des suites de l’arrêt de la première chambre civile rendu le 6 décembre 2023 (Civ. 1re, 6 déc. 2023, n° 22-19.285), cette restriction de l’intensité du secret professionnel de l’avocat s’avère nécessaire au regard du respect du droit à la preuve du demandeur lorsque l’action est dirigée contre l’avocat[2].
Cependant, l’incident du 15 mai dernier ne correspond pas à cette situation et l’avocat au barreau Chartres pouvait alors valablement se prévaloir de son secret professionnel au profit de son ancien client.
Me Elsa Faubert Vahramian & Candice Limoge
[1] Vocabulaire juridique de Gérard Cornu, Association Henri Capitant, 14e édition mise à jour, Edition PUF
[2] Le droit à la preuve vient-il d'achever le secret professionnel de l'avocat ? – Cédric Hélaine, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université d'Aix-Marseille – 12 décembre 2023