Un fonctionnaire a-t-il le droit de tout « liker » ?

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La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a récemment eu l’occasion de répondre à cette question s’agissant d’un contractuel (de droit privé) de l’éducation nationale turque auquel les autorités nationales ont reproché d’avoir cliqué sur l’icône « j’aime » sur un contenu publié sur Facebook mettant en cause les violences policières. (CEDH, 15 juin 2021, Melike c/ Turquie, n° 35786/19)

La Cour considère que cette pratique relève de la liberté d’expression, protégée par l’article 10 de la Convention.

Toute personne est libre de manifester son approbation d’une publication en y apposant la mention « j’aime ». Mais la CEDH rappelle qu’il s’agit d’une liberté dont l’exercice peut être limité par les autorités d’un Etat, selon plusieurs conditions (s’agissant par exemple de protéger la défense nationale, ou encore le droit à l’intimité de la vie privée d’autrui).

La CEDH a expressément limité la portée de sa solution à l’égard des fonctionnaires en reprenant une position qu’elle avait déjà affirmée quelques années auparavant :

« 56.  (…) les salariés ont un devoir de loyauté, de réserve et de discrétion envers leur employeur. Cela vaut en particulier pour les fonctionnaires, dès lors que la nature même de la fonction publique exige de ses membres une obligation de loyauté et de réserve (…) Cette obligation peut être plus accentuée pour les fonctionnaires et les employés de la fonction publique que pour les salariés travaillant sous le régime du droit privé. (…)

  1. 58.  Il convient de garder à l’esprit que, même si la relation de travail n’implique pas un devoir de loyauté absolue envers l’employeur ni une obligation de réserve entraînant la sujétion du travailleur aux intérêts de l’employeur, certaines manifestations du droit à la liberté d’expression qui pourraient être légitimes dans d’autres contextes ne le sont pas dans le cadre de la relation de travail »

(CEDH, 9 janvier 2018, CATALAN c. ROUMANIE, n°13003/04)

Autrement dit, un salarié peut voir sa liberté de « liker » être limitée notamment par l’obligation de loyauté qu’il doit à son employeur, et cette limitation peut être encore plus importante à l’égard du fonctionnaire en raison, principalement, de son devoir de réserve et de ses obligations de dignité et d’exemplarité

• Le devoir de réserve, qui s’applique à tout agent public, impose au fonctionnaire de manifester ses opinions avec retenue, dans des conditions qui ne doivent pas porter atteinte à l’intérêt du service public. Il limite la liberté de « liker» du fonctionnaire dès lors qu’il s’impose à lui y compris en dehors de l’exercice de ses fonctions (par exemple : CAA Bordeaux, 03 février 2014, 13BX00238) ;

• L’obligation de dignité (article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires) et d’exemplarité constitue une autre limite évidente à cette liberté de « liker » (Pour un exemple de manquement à cette obligation : CAA PARIS, 9 mai 2001, n°99PA00217).

L’administration ne peut toutefois pas, en principe, imposer au fonctionnaire de soumettre ses écrits (et donc ses « like ») à son approbation préalablement à leur publication (CE, 29 décembre 2000, 213590).

 

Si le juge administratif ne semble pas avoir été saisi de cette question spécifique, il ressort des nombreuses jurisprudences rendues au sujet de sa liberté d’expression que le fonctionnaire sera plus ou moins libre de manifester ses opinions selon les fonctions qu’il occupe, ses responsabilités, la nature des propos litigieux, leur mode de diffusion et leur contexte.

Il fait peu de doutes, par exemple, qu’un secrétaire général de préfecture qui « like » une publication injurieuse à l’encontre du chef de l’Etat encourt une sanction disciplinaire (par analogie, voir CAA Bordeaux, 03 février 2014, 13BX00238).

Cette même conduite de la part d’un particulier peut faire obstacle à son intégration future dans la fonction publique. (même arrêt)

Si la liberté de « liker » est la règle, le fonctionnaire veillera toutefois à en faire un usage réfléchi et mesuré en ayant à l’esprit que son engagement pour le service public l’oblige et que la liberté d’expression n’est pas, dans notre système juridique, celle de dire (et de liker) tout, y compris n’importe quoi…

Il pourra donc, comme vous, liker cette publication sans modération !

Steven CALOT, avocat à Reims
Steven CALOT
Avocat associé