L’agriculteur et ses voisins : quand le trouble anormal du voisinage s’invite à la campagne
Les plaintes des « néo-ruraux » étant de plus en plus nombreuses contre leurs voisins agriculteurs, le législateur a dû intervenir.
La condamnation en mars 2022 d'un agriculteur de l'Oise à 100 000 € de dommages et intérêts en raison du bruit et des odeurs, avait marqué les esprits.
Une loi a été promulguée le 15 avril 2024. Elle a été publiée au Journal officiel du 16 avril 2024.
Elle consacre dans le code civil le principe de responsabilité fondée sur les troubles anormaux du voisinage tout en l'assortissant de limites.
Son article unique crée un nouvel article 1253 dans le code civil reprenant le principe de responsabilité fondée sur les troubles anormaux du voisinage, consacré par la jurisprudence de la Cour de cassation.
Rappelons en effet que dans un arrêt du 19 novembre 1986, la Cour a posé un principe général du droit selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».
Le trouble de voisinage entraîne la responsabilité de plein droit de son auteur, à condition qu'il excède les inconvénients ordinaires du voisinage.
Le nouvel article pose une exception à ce principe.
La responsabilité de la personne ne peut pas être engagée si l'activité :
est antérieure à l'installation de la personne se plaignant du trouble anormal ;
qu'elle respecte la législation ;
et se poursuit dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine de l’aggravation du trouble anormal de voisinage.
Sur initiative du Sénat, un article a été ajouté au code rural pour prévoir des exonérations supplémentaires spécifiques pour les activités agricoles.
La responsabilité d'un agriculteur qui modifierait les conditions d’exercice de son activité pour les mettre en conformité avec la réglementation ne pourra pas être recherchée pour trouble anormal de voisinage.
Dans le même sens, sa responsabilité ne pourra pas être engagée dès lors qu'il n'a pas « substantiellement » modifié la nature ou l'intensité de son activité agricole.
Ce cas vise les évolutions naturelles de la vie d'une exploitation (accroissement, diversification...).
Il appartiendra toutefois au juge de déterminer ce qui relève ou non d'une modification « substantielle ».
Si l’on peut se réjouir de cette avancée qui protège un peu plus le milieu rural des contraintes directement liées à l’activité agricole, il sera essentiel de rester prudent face à la jurisprudence qui découlera de l’application de cet article, notamment au regard d’une modification de l’activité ou d’un agrandissement de l’exploitation.
Ces changements seraient susceptibles de constituer un trouble anormal de voisinage s’ils modifient en « substance » l’exploitation initiale.
Alors que l’agrandissement des exploitations est déjà considérablement limité par le contrôle des structures, et plus récemment avec la loi SEMPASTOUS (loi n° 2021-1756 du 23 décembre 2021), le législateur marque un nouveau point d’honneur à tenter de contrôler la taille des exploitations agricoles.
Perrine FOURTINES ROCHET
Avocat associé, Droit rural