Article paru dans l'Union le 27 novembre 2008
Surprenante affaire hier au tribunal correctionnel de Châlons-en-Champagne. Un ancien chef de secteur de Bricorama comparaissait pour avoir installé une caméra dans les toilettes du personnel féminin du magasin. Un trou dans le plafond des toilettes des femmes. Dedans, une caméra reliée à un écran. Devant cet écran, un homme, le chef de secteur du magasin Bricorama de Fagnières. Que regarde-t-il ? Nul ne le sait. L'homme affirme que son installation n'a jamais fonctionné. Les victimes ont de sérieux doutes. Elles sont huit à avoir porté plainte et cinq étaient hier sur le banc des parties civiles. Leur ancien chef de service est poursuivi pour « atteinte à la vie privée et tentative de fixation d'images ».
Derrière la formule, il y a un homme qui a pris une heure sur sa pause déjeuner pour, profitant de ce qu'il a les clés et que le magasin est vide, installer une caméra dans les toilettes et la relier à une sorte de lecteur de DVD portable. Employé reconnu dans le magasin, devenu, comme le soulignait son avocate Me Flory, chef de secteur et bras droit du directeur en à peine deux ans, cet homme s'emmêle toutefois les pinceaux dans les branchements. Résultat : la caméra ne transmet aucune image. C'est du moins ce qu'il affirme. Il veut bien reconnaître avoir essayé de voir ses collègues femmes mais reste catégorique : il n'a rien vu et n'a, pas conséquent, utilisé aucune image pour une quelconque diffusion.
Les faits sont récents. Le 19 mai dernier, le directeur de la grande surface de bricolage surprend son chef de secteur cachant un écran sous des dossiers en salle de repos. Supposant qu'il regarde un film alors qu'il est censé travailler, il quitte la pièce afin de téléphoner à son supérieur. A son retour, l'homme n'est plus là mais dans les toilettes des femmes où il s'applique à démonter en vitesse une caméra dissimulée dans le plafond. Il le prend pour ainsi dire la main dans la poche puisque l'homme est précisément en train de cacher la caméra dans son pantalon. De retour dans la salle de repos, il est devenu impossible de vérifier le fonctionnement de l'installation les câbles ayant été arrachés… D'emblée, le chef de secteur affirme : le matériel ne fonctionne pas et il n'a rien enregistré. Malheureusement, l'enquête - qui n'est pas un chef-d'oeuvre du genre, selon l'euphémisme du procureur - ne démontre rien. Et les questions subsistent. Elles plombent ce dossier. Elles minent les victimes dont certaines sont en larmes au tribunal. Elles perturbent leur avocat. Elles inquiètent le procureur. Mais elles confortent l'avocate du prévenu : le doute doit lui profiter.
Quant aux explications de l'acte, elles restent pour le moins nébuleuses. « Comment expliquez-vous vos actes ? », demande le procureur Cédric Mestre. « Je ne sais pas »... Puis : « C'est du voyeurisme, admet le prévenu, avec tout ce qu'on voit dans les médias, je ne dirais pas que j'ai été influencé mais un peu… ». Et justement, Me Sébastien Busy, l'avocat des parties civiles, s'interroge sur la possible médiatisation des images dont on ignore si elles ont existé ou non. « En recherchant sur le net avec deux mots clés, webcam et toilettes, j'ai trouvé 174 pages : des blogs, des forums… On est dans le scabreux. Et on peut clairement s'interroger comme l'ont fait les victimes sur ce qui aurait pu être fait avec les images… » Les victimes ont bien du mal à ne pas se faire de films. D'autant que des éléments demeurent troublants. La caméra, enregistrée dans les stocks du magasin en 2006, portée disparue à l'inventaire en 2007 et qui réapparaît le 19 mai 2008 dans la poche du prévenu. Pour le procureur, la question du temps durant lequel l'installation a été en place ne change finalement rien à l'affaire. Il y a « viol de la vie privée, de l'intimité de cette vie ». Plus grave est, selon lui, la méthode. Il a fallu beaucoup de détermination pour installer le système, c'est « un mode opératoire réfléchi et élaboré. L'idée n'était pas subite. » Le tribunal a suivi en très grande partie ses réquisitions. Il a condamné le prévenu à quatre mois de prison avec sursis et mise à l'épreuve pendant deux ans. Il devra, pendant cette période, s'astreindre à travailler et à indemniser ses victimes. Il n'a toutefois pas, comme le demandait le parquet, une obligation de soins.
Auteur : S. Verger