Décret 21-1065 du 9 aout 2021
Article r.4624-28-1, 2 et 3 du code du travail
Pour tous les départs en retraite à compter du 1er octobre 2021, si le salarié est soumis au suivi médical individuel renforcé (SIR) ou y a été soumis au cours de sa carrière, il doit être examiné par le Médecin du travail au cours d’une visite spécifique.
Ce nouveau dispositif était issu des ordonnances dites « Macron » du 22 septembre 2017 (article 13 de la Loi 2018-217 de ratification du 29 mars 2018, dont l’entrée en vigueur était subordonnée à la publication d’un décret d’application).
Il s’applique donc depuis le 1er octobre dernier à tous les travailleurs ayant été soumis au suivi médical renforcé, y compris du secteur agricole.
Qui ?
Rappelons que l’article L.4624-2du Code du travail prévoit un suivi individuel renforcé de l’état de santé, avec visite médicale d’aptitude à l’embauche, puis examens périodiques ensuite pour :
« Tout travailleur affecté à un poste présentant des risques particuliers pour sa santé ou sa sécurité ou pour celles de ses collègues ou des tiers évoluant dans l'environnement immédiat de travail »
Tous les salariés ayant bénéficié de ce suivi ou, avant qu’il ne soit mis en place, ayant été soumis à un suivi médical spécifique (pas forcément par le médecin du travail) en raison de leur exposition à un ou plusieurs risques particuliers doivent passer cette visite de fin de carrière au moment de leur départ en retraite.
Les risques particuliers sont ceux visés à l’article R.4624-23-1 du Code du travail, notamment l’amiante, le plomb, les agents cancérogènes ou biologiques mutagènes ou toxiques pour la reproduction, les rayonnements ionisants, le risque hyperbare, le risque de chute lors des opérations de montage et de démontage d'échafaudages.
Cependant, si l’employeur a connaissance en principe des salariés de son entreprise qui sont soumis au suivi individuel renforcé, ou qui y ont été soumis au cours de leur carrière dans son entreprise, il ne connaît pas forcément leur passé et leur exposition aux risques dans de précédents emplois.
En pratique, ce sont les services de santé au travail qui, au regard du dossier médical en santé au travail, détermineront si le salarié remplit les critères pour bénéficier ou non de cette visite de fin de carrière.
Pour ce faire, les employeurs devront donc, en pratique, les prévenir de tout départ (ou mise) à la retraite dans leur entreprise, peu important que le salarié occupe ou non un poste à risques ou qu’il ait ou non occupé un poste exposé aux risques dans cette dernière entreprise qui l’emploie.
Quand ?
Le décret ne précise pas le délai dont dispose l'employeur pour solliciter l'organisation de cette visite. Mais L’article R.4624-28-2 emploie les termes suivants : « l’employeur informe son service de santé au travail, dès qu'il en a connaissance, du départ ou de la mise à la retraite d'un des travailleurs de l'entreprise. Il avise sans délai le travailleur concerné de la transmission de cette information. »
Ajoutons que la loi 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail a d’ores et déjà amélioré le dispositif en prévoyant qu’à compter du 31 mars 2022, cet examen médical devra intervenir dans les meilleurs délais après la cessation de l'exposition à des facteurs de risques, même si le salarié ne part pas de suite en retraite.
Bien évidemment, en cas de maintien de l'exposition, c’est toujours au moment du départ (ou de la mise) en retraire que l’examen médical interviendra.
C’est d’autant plus judicieux que l’on sait qu’au moment de liquider leurs pensions de retraite, malheureusement de nombreux salariés sont au chômage. Dans ces conditions, s’ils n’en bénéficient pas au moment de leur entrée en retraite, ils en bénéficieront au moins au moment de la perte de leur emploi et de la cessation de leurs fonctions.
L’employeur ne doit donc pas perdre de temps.
On lui recommandera donc de procéder à ces formalités dès la notification du départ (ou de la mise) à la retraite, surtout qu’en cas de départ volontaire à la retraite, le délai légal de préavis n’est que de 2 mois lorsque le salarié a au moins 2 ans d’ancienneté.
Il faut aussi que les employeurs acquièrent ce réflexe en cas de changement de poste en fin de carrière : il est alors fréquent (voire recommandé dans le cadre d’une saine politique de prévention des risques professionnels) de faire cesser l’exposition aux risques spécifiques des salariés en fin de carrière. En effet, « dans les meilleurs délais » de la cessation de l’exposition aux risques, donc du changement de poste lorsque le salarié ne part pas aussitôt à la retraite, l’employeur doit l’informer, ainsi que le service de santé au travail de cette demande d’organisation d’une « visite de fin de carrière ».
Comment ?
L’employeur doit contacter la Médecine du travail pour solliciter l’organisation de la visite médicale dès qu’il a connaissance du départ (ou de la mise) à la retraite d’un salarié, quel que soit le ou les postes occupés au cours de sa carrière dans l’entreprise, exposé ou non aux risques spécifiques précités.
C’est la Médecine du travail qui a la responsabilité, après avoir été informée du départ (ou de la mise) à la retraite, d’examiner le dossier médical de suivi en santé au travail et de vérifier l’éligibilité du salarié à cette visite.
L’employeur a en outre l’obligation de prévenir le salarié en parallèle de cette organisation de la visite (avant même que la date de celle-ci ne soit fixée).
Il est naturellement recommandé de conserver les preuves écrites de ces deux transmissions d’informations et de leur accusé de réception :
• au Médecin du travail d’une part ;
• au salarié d’autre part.
Si l'employeur manque à son obligation, le travailleur peut, durant le mois précédant son départ, demander à bénéficier de cette visite directement auprès de son service de santé au travail.
Il doit également informer son employeur de sa démarche.
Pour éviter de se voir reprocher une quelconque négligence, les employeurs seront donc bien avisés d’écrire au salarié et au Médecin dès la notification du départ (ou de la mise) à la retraite.
Pour quoi faire ?
L’article L.4624-2-1 du Code du travail prévoit que l’examen médical a pour objet d'établir une traçabilité et un état des lieux, à date, des expositions à un ou à plusieurs facteurs de risques professionnels auxquelles a été soumis le travailleur
Le médecin du travail établit un état des lieux des expositions du salarié aux facteurs de risques professionnels mentionnés à l'article L 4161-1 du Code du travail, à savoir :
• Des contraintes physiques marquées : manutentions manuelles de charges, postures pénibles définies comme positions forcées des articulations, vibrations mécaniques ;
• Un environnement physique agressif : agents chimiques dangereux, y compris les poussières et les fumées, activités exercées en milieu hyperbare, températures extrêmes, bruit ;
• Certains rythmes de travail : travail de nuit, travail en équipes successives alternantes, travail répétitif caractérisé par la réalisation de travaux impliquant l'exécution de mouvements répétés, sollicitant tout ou partie du membre supérieur, à une fréquence élevée et sous cadence contrainte.
Pour cela, il dispose du dossier médical en santé au travail, des déclarations du salarié lui-même et il peut interroger ses employeurs successifs (à supposer qu’ils existent encore).
Lorsque le document d’état des lieux rédigé par le Médecin du travail fait état de l'exposition à un ou à plusieurs facteurs de risques professionnels précités ou que l'examen médical a fait apparaître d'autres risques professionnels, le médecin du travail préconise s’il y a lieu la mise en place d’une surveillance médicale post-professionnelle.
Cette surveillance doit tenir compte de :
• la nature du risque ;
• l’état de santé de la personne concernée ;
• l’âge de la personne concernée.
À l'issue de la visite, le médecin du travail remet le document dressant l'état des lieux au salarié et l’informe des démarches à effectuer pour bénéficier de sa surveillance médicale post-professionnelle. Avec son accord et s’il le juge nécessaire, il transmet ce rapport et les préconisation et informations utiles à la prise en charge médicale ultérieure au médecin traitant du salarié.
En plus de ce lien avec le médecin traitant, la récente loi 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail y a ajouté l’association du médecin-conseil des organismes de sécurité sociale.
Une co-exposition aux risques juridiques et financiers de l’employeur et du Médecin du travail
Avec cette nouvelle visite médicale, les employeurs voient une nouvelle source de risque d’engagement de leur responsabilité s’ils oublient cette formalité.
En effet, si l’employeur n’est pas en mesure de prouver qu’il a formellement prévenu le Médecin du travail et le salarié parti en retraite, et que ce dernier peut prouver qu’il remplissait les critères pour bénéficier de cette visite et que son défaut l’a privé de la chance d’en bénéficier, il pourra obtenir sa condamnation à lui verser des dommages-intérêts.
La condamnation indemnitaire sera d’autant plus importante si le salarié (ou ses ayants droit après son décès) peut démontrer une perte de chance de bénéficier d’un suivi médical post-professionnel au regard par exemple d’une maladie ou de symptômes développés durant sa retraite.
On aurait pu imaginer que la caisse de retraite de base informe elle-même le Médecin du travail de la liquidation de la pension, déclenchant l’obligation pour ce dernier de vérifier le dossier de suivi de santé au travail et de convoquer le salarié à la visite de fin de carrière s’il constatait une exposition aux risques.
Mais, une fois n’est pas coutume, on a préféré ajouter les démarches administratives aux employeurs …
Rappelons néanmoins que si le service médical du travail ne remplit pas ses obligations, par exemple en n’organisant pas la visite de fin de carrière bien qu’ayant été informé par l’employeur du départ (ou de la mise) à la retraite, et que la responsabilité de l’employeur se voit engagée par son salarié de ce fait, cet employeur pourra alors se retourner contre son service médical du travail en apportant la preuve de son dysfonctionnement.
Non seulement l’employeur ne saurait alors être condamné à indemniser le salarié (Cass. soc., 21 sept. 2011, n° 10-16.153), mais il peut assigner le service de santé au travail en paiement de dommages-intérêts du fait de sa carence (Cass. soc., 31 mai 2012, n° 11-10.958 ; Cass. 1re civ., 19 déc. 2013, n° 12-25.056 : dans cette affaire, le préjudice subi par l’employeur avait été évalué au montant de sa cotisation annuelle au service de santé au travail).
On imagine également que le salarié qui aurait été privé de la chance de bénéficier de la visite de fin de carrière parce-que le Médecin du travail aurait omis de vérifier son dossier médical (ou mal vérifié celui- ci) ou encore celui qui aurait été privé de la chance de bénéficier d’un suivi médical post-professionnel parce-que le Médecin du travail qui l’aurait bien convoqué à cette visite de fin de carrière aurait à tort estimé dans son bilan qu’il n’y avait pas lieu de mettre en place un suivi post-professionnel, pourrait engager la responsabilité professionnelle du Médecin du travail.
En conclusion, l’information du Médecin du travail et du salarié sur la visite de fin de carrière doit devenir un automatisme.
On espère que de la coopération entre médecins du travail, médecins conseils des organismes de sécurité sociale et médecins traitants résultera un meilleur suivi et une meilleure prévention pour les seniors, surtout en sachant que :
• l’espérance de vie est largement raccourcie du fait de l’exposition à des risques spécifiques au cours de la vie professionnelle ;
• l’âge de l’entrée en retraite ne va pas en avançant !