Anatomie d’un accident de la route ayant causé un handicap à la sortie de l’autoroute à La Veuve
L’un souffrira à jamais de lourds dommages physiques et psychologiques, l’autre, porte le poids du souvenir. Dans cet accident du 16 novembre 2017 à La Veuve, le tribunal devra trancher sur la personne à qui incombe la responsabilité.
Ils sont « deux visages des 61 000 accidents de la route de 2017 », amorce le parquet. Derrière ces deux faciès, deux histoires. Deux existences pour qui cette journée du 16 novembre 2017 comporte un avant et un après. Un avant, pour Christophe, celui d’une vie épanouie, auprès de sa femme et de ses enfants. Il travaille, conduit, mène son train de vie comme tout un chacun. Puis il l’y a l’après. L’hospitalisation «très longue», peine-t-il à synthétiser dans un bref résumé, du fond de son fauteuil roulant. Ce mercredi 31 janvier, Christophe assiste à un récit dont il ignore donc tout. «Compte tenu de l’importance de l’hémorragie cérébrale, il est physiologiquement, neurologiquement impossible qu’il se souvienne de quoi que ce soit », pointe la partie civile.
Durant presque un an, il est hospitalisé, après plusieurs jours de coma et un pronostic vital engagé des suites du choc. « S’il survit, le médecin fixe à 180 jours les ITT », rappelle le tribunal. Une fois ce combat pour le maintenir en vie achevé, commence celui de la vie, tout court. Christophe oublie tout des années les plus récentes de son existence, ne demeurent «que les choses les plus anciennes », explique-t-il. Physiquement, son corps est touché par « 83% d’incapacité permanente partielle », remarque son employeur, partie civile à l’audience. Concrètement, Christophe n’est plus en mesure d’accomplir seul les actes quotidiens de la vie courante. Tout cela, depuis ce 16 novembre 2017, où sa vie a basculé.
«La vitesse était la première grande cause d’accidentalité en 2017. En 2024 aussi. Celui-ci n’y échappe pas» Le ministère public
Alors qu’il est sur le retour de la visite d’une concession, cet employé du Technocentre du Renault de Guyancourt (Yvelines) regagne naturellement ses pénates. Il s’engage d’abord sur la bretelle d’accès vers Metz et non celle vers Paris, située juste après. À cette époque, le flambant neuf rond-point de La Veuve n’existe pas (lire par ailleurs), il s’agit encore d’une intersection classique, bien que particulièrement accidentogène, comme l’a rappelé l’intégralité des parties à l’audience.
Revenu au stop de la bretelle de sortie de l’autoroute A4, Chritstophe doit donc effectuer un tourne-à-gauche sur la RD 21. Alors qu’il s’engage après une Peugeot 407 (lire ci-contre), un 26 tonnes croise son chemin et face à ce dernier, son véhicule léger ne fait pas le poids. Sa voiture se broie dans le choc, lui s’y retrouve incarcéré, inconscient.
À bord de ce camion se trouve Patrick. Lui se dirige vers Bouy, emprunte cette route qu’il connaît par cœur, fort de plus d’une décennie d’activité dans le secteur, comme chauffeur poids lourd. Sa remorque chargée à bloc de ferrailles, il s’insère et « se laisse glisser », sans imaginer que Christophe va suivre. « J’arrive et pour moi, je vais enquiller direct », terme par lequel il entend, arriver derrière la Peugeot 407 sans encombres malgré une vitesse, il en convient bien, excessive.
Quel lien de causalité entre tous les événements
Et c’est là que réside le cœur des débats à l’audience. Qui, de Christophe, auteur d’une manœuvre qu’il n’aurait dû effectuer, ou de Patrick, qui dépassait la limite autorisée de 12km/h doit porter la lourde responsabilité du choc? Dans deux argumentaires détaillés, le ministère public et la défense s’opposent en tous points.
D’un côté, le premier estime: « La vitesse était la première grande cause d’accidentalité en 2017. En 2024 aussi. Celui-ci n’y échappe pas. » En plus du non-respect de la vitesse, le substitut de la procureure avance également une absence de ralentissement. « Monsieur voit quelque chose d’anormal et malgré tout, vous ne trouvez pas, sur le chronotachygraphe, le moindre ralentissement », poursuit-il, écartant au passage toute implication de la victime par sa manœuvre.
En défense, pour le routier, Me Busy avance: « En matière de blessure et d’homicide involontaire, le lien de causalité est primordial », argumente-t-il, citant au passage diverses jurisprudences où des fautes, à l’instar de la vitesse excessive de son client, avaient été commises mais qu’en l’absence de causalité entre ces dernières, la relaxe était prononcée. Avec comme appui deux théories pour établir le lien de causalité, celles de l’équivalence des conditions et de causalité adéquate, il le martèle: la vitesse de son client ne peut être l’unique responsable du dommage.
Alors que le parquet requiert douze mois de prison intégralement assortis d’un sursis, en plus de six mois de confiscation du permis de conduire, la défense plaide en faveur d’une relaxe. Le délibéré est fixé au 20 mars prochain et l’audience sur intérêts civils, encore après. Christophe, lui, n’attend qu’une chose: « La fin de tout cela ».