Musique, cigarettes et fatigue dans le cockpit : l’effroyable récit du vol EgyptAir avant son crash
En 2016, 15 Français ont péri dans le crash d’un avion d’EgyptAir au départ de Paris. Un rapport d’expertise fait état du «niveau de décontraction particulier» de l’équipage avant qu’un incendie ne se déclenche dans le cockpit et précipite sa chute.
«Fire, fire, fire ! (au feu, au feu, au feu ! NDLR).» Les cris de panique du commandant de bord résonnent dans le cockpit avant que la porte ne se referme sur un poste de pilotage dévoré par les flammes. Sept ans après le crash de l'Airbus A320 d'Egyptair dans lequel 15 Français ont péri, l’enquête pour «homicide involontaire» se poursuit en France. Malgré les tentatives d'obstruction de la part des autorités égyptiennes, qui restent arc-boutées sur la théorie d’un attentat, des experts ont reconstitué le déroulé du vol MS804 et les multiples facteurs ayant entraîné sa chute en pleine mer Méditerranée. Un rapport rendu en juin 2021 – et consulté par Le Figaro – conclut que le crash a été précipité par une fuite du masque à oxygène d'un des pilotes et la combustion d'une cigarette fumée dans le cockpit, déclenchant l’incendie fatal.
Le 18 mai 2016, le vol MS804 décolle de Roissy à 21h21 pour rejoindre Le Caire avec 66 personnes à son bord. L'ambiance entre les deux pilotes, les hôtesses et les stewards semble détendue. Dès le début du vol, la musique résonne dans le cockpit, émanant probablement d'une enceinte Bluetooth, selon le rapport d'expertise. Les membres de l'équipage vont et viennent dans le poste de pilotage pour discuter de tout et de rien. «Cela dénote un niveau de décontraction particulier qui n'est pas la caractéristique d'un équipage entièrement impliqué dans la conduite de son vol», notent les experts français.
« Si je fume tout seul, ça ne va pas être pareil. » (le copilote)
À 22h48, une hôtesse s'amuse même du fait que le commandant de bord n'a pas arrêté de fumer. Une heure plus tard, c'est au tour du copilote de faire allusion à la cigarette et d'en proposer aux membres de l'équipage présents dans le cockpit. «Si je fume tout seul, ça ne va pas être pareil», rit-il, d'après les enregistreurs de vol. À cette époque, la compagnie aérienne égyptienne autorisait les personnels navigants à fumer dans le poste de pilotage, sous réserve de l'accord du commandant de bord.
«Je vais tomber de fatigue, je n'y arrive plus»
Petit à petit, la légèreté laisse place à la fatigue. À partir de 23h00, les deux pilotes manifestent régulièrement leur envie de dormir. «Je vais tomber de fatigue, je n'y arrive plus», souffle le commandant de bord à 23h23. Une heure plus tard, à 00h23, son copilote demande à une hôtesse de lui apporter une couverture et un oreiller dans le cockpit, il est pourtant formellement interdit de dormir dans cet espace. La navigante s'exécute et «il est alors perçu de nombreux bruits qui témoignent de déplacements d'objets sur le côté droit du cockpit», remarquent les experts qui estiment que le drame se noue à ce moment précis.
«L'étude des boîtes noires fait clairement apparaître un son en lien avec l'activation d'un masque à oxygène en poste de pilotage. Le seul cas où l'oxygène peut sortir du masque, alors qu'il n'est pas appliqué sur un visage, est lorsque le bouton rotatif 'Emergency overpressure knob' est activé», détaille leur rapport. Comment ce bouton a-t-il pu être enclenché ? Les experts émettent l'hypothèse d'une «activation non intentionnelle par un déplacement d'objet ou un mouvement qui aurait interféré au niveau du boîtier». En clair : les nombreuses manipulations des personnes présentes dans le cockpit ont activé de manière involontaire ce bouton qui a libéré de l'oxygène pur dans le cockpit. Or, la présence de cigarette allumée ou de cendres chaudes sont autant d'éléments dangereux qui peuvent s'enflammer spontanément à proximité d'une fuite d'oxygène.
«Fire, fire, fire !»
Les enregistrements sonores ne trompent pas. À 00h25, alors que Khayef, mélodie envoûtante entonnée par le chanteur Mohamed Mounir, inonde le poste de pilotage, un premier bruit de fuite d'oxygène se fait entendre. Puis un second, quelques centièmes de secondes plus tard.
Aussitôt, le commandant de bord hurle «fire, fire, fire ! (au feu, au feu, au feu ! NDLR)» et demande un extincteur. «L'enregistrement fait très rapidement apparaître un son de chalumeau qui dénote un feu intense», relèvent les experts. Une hôtesse crie à son tour et en moins d'une seconde, la porte du cockpit est refermée, certainement pour essayer de contenir les flammes, en vain. À 00h26, elles sont déjà en train de dévorer les toilettes qui se trouvent juste à l'entrée du cockpit et déclenchent l'alarme «Lavatory smoke».
En une poignée de minutes, «le centre de gravité de l'appareil s'est déplacé vers l'arrière». Autrement dit, tous les passagers se sont réfugiés dans la queue de l'avion «probablement en raison des fumées et des flammes à l'avant», établit le rapport. À 00h29, le pilote automatique qui était jusqu'alors en charge de la croisière est déconnecté et l'Airbus A320 se retrouve livré à lui-même. Selon les experts, «l'absence de tout signe de présence humaine dans le poste de pilotage après l'annonce du feu montre que l'équipage n'était pas en capacité de reprendre le contrôle de l'avion». Le MS804 poursuit son vol pendant huit minutes avant de disparaître des radars à 00h36 et de s'abîmer en mer, entre la Crète et la côte nord de l'Égypte.
«Ça ne fera pas revenir nos proches»
Si la thèse de l'incendie comme cause principale de l'accident n'est aujourd'hui plus contestable, l’avocat de l’association de victimes, Me Sébastien Busy, estime que des recherches supplémentaires sont nécessaires afin de déterminer avec certitude si la fuite d'oxygène est bien due à une mauvaise manipulation involontaire, ou si elle peut être liée à un montage défaillant du masque par un agent de maintenance. D'autant que l'Airbus A320 d'Egyptair avait émis de multiples messages d'anomalies électriques au cours de ses rotations précédentes, suscitant des interrogations sur un défaut de maintenance. «Les précédents pilotes ont été interrogés par le juge d'instruction égyptien mais ils ont dit qu'il n'y avait eu aucun problème, malgré les alarmes ACARS (qui permettent le contrôle de l'état de l'avion en vol, NDLR) visuelles et sonores qui ont été déclenchées...», soupire, désabusée, Sophie Cormary. Son fils de 26 ans se trouvait à bord du MS804.
«Il faudrait que nos juges puissent entendre les techniciens en charge de la maintenance à l'époque, mais nous n'avons pas l'organigramme de la compagnie», déplore Me Busy. Et d'ajouter, un brin pessimiste : «Sans cela, on ne pourra pas identifier clairement de fautif et engager la responsabilité de l'entreprise sur le plan pénal.» Les familles des victimes seront reçues jeudi matin par le juge d'instruction afin de faire un point sur les dernières avancées de l'enquête. «Nous espérons que le juge va nous annoncer la convocation d'EgyptAir en vue de sa mise en examen», glisse Sophie Cormary, représentée par Me Antoine Lachenaud.
Comme pour se protéger de la peine qui l'étreint, elle refuse de baisser les bras : «On sait que ça ne fera pas revenir nos proches, mais nous n'accepterons jamais un non- lieu, soutient cette mère combattive. Il serait insupportable que le juge d'instruction dise qu'on ne dispose pas d'assez de preuves pour mettre en examen EgyptAir.»
Par Ambre LEPOIVRE - Le Figaro - 8 novembre 2023