L’inaptitude du salarié : la recherche de reclassement peut passer par l’aménagement du poste en télétravail

Dans un arrêt rendu le 29 mars 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation est venue préciser l’étendue de l’obligation de reclassement pesant sur l’employeur en cas d’inaptitude du salarié.
En l’espèce, une assistante coordinatrice d’équipe dans un centre de santé au travail était déclarée, à l’issue de deux examens médicaux, inapte à son poste par le médecin du travail qui précisait dans son avis qu’elle « pourrait occuper un poste administratif sans déplacement et à temps partiel (2j/semaine) en télétravail à son domicile avec aménagement du poste approprié ».
Elle était licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par courrier du 7 décembre 2016.
Elle contestait le bien-fondé de la rupture de son contrat de travail et sollicitait des dommages et intérêts en réparation de son préjudice, faisant valoir le non-respect par l’employeur de son obligation de reclassement.
La Cour d’appel de Paris faisait droit à sa demande, jugeant que l’employeur avait manqué à son obligation de reclassement en n’aménageant pas le poste en télétravail, comme préconisé dans l’avis d’inaptitude rédigé par le médecin du travail.
L’employeur formait un pourvoi en cassation, mettant en avant le fait que l’obligation de reclassement du salarié déclaré inapte à son poste de travail ne portait que sur des postes disponibles existant au sein de l’entreprise. Or il rappelait d’une part, que le télétravail n’ayant pas été mis en place au sein de l’entreprise, sa salariée ne pouvait pas être reclassée sur un tel poste, et d’autre part, qu’une telle organisation était incompatible avec l’activité de la salariée qui requerrait le respect du secret médical.
La question soumise à la Haute juridiction était ainsi la suivante : L’obligation de reclassement pesant sur l’employeur en cas d’inaptitude du salarié impose-t-elle à ce dernier de créer spécifiquement un poste de travail adapté aux capacités du salarié ?
Après avoir rappelé les dispositions des articles L1226-10 et L.1226-12 du code du travail, la Cour de cassation a répondu par l’affirmative en énonçant qu’ « il appartient à l’employeur de proposer au salarié, loyalement, en tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail ».
En l’espèce, la Cour de cassation a procédé à un contrôle approfondi des éléments retenus par les juges du fond, relevant d’une part, le caractère parfaitement clair de l’avis d’inaptitude sur les dispositions à mettre en œuvre pour permettre à la salariée de conserver son emploi, et d’autre part, la compatibilité de l’essentiel des missions accomplies par la salariée avec un exercice à domicile en télétravail et à temps partiel comme préconisé par le médecin du travail.
Elle a par ailleurs précisé que la Cour d’appel n’avait pas besoin de rechercher si le télétravail avait été mis en place au sein de la société dès lors que l’aménagement d’un poste en télétravail pouvait résulter d’un avenant au contrat de travail.
Autrement dit, l’absence de mise en place du télétravail au sein de l’entreprise est insuffisante à établir l’impossibilité de l’employeur à proposer un autre emploi au salarié dans les conditions prévues par l’article L. 1226-10 du contrat de travail, et ne peut justifier une rupture du contrat de travail du salarié déclaré inapte.
Cette décision illustre le strict contrôle exercé par la Cour de cassation quant à l’obligation de reclassement pesant sur l’employeur. Elle réaffirme l’importance de la notion de loyauté, qui impose à l’employeur de justifier du sérieux de ses recherches et de sa bonne foi à l’égard du salarié.
Cette solution, rendue avant l’entrée en vigueur de la « loi Travail » du 8 août 2016 et l’ordonnance du 22 septembre 2017, semble conserver sa valeur sous l’empire des textes actuellement en vigueur.
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