Les indemnités en cas de licenciement pour inaptitude

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Le Code du Travail réserve un sort différent pour le salarié licencié dans le cadre d’une inaptitude d’origine professionnelle, par rapport au salarié licencié dans le cadre d’une inaptitude non professionnelle.

Cependant, l’appréciation du caractère professionnel d’une inaptitude n’est pas strictement liée à la reconnaissance préalable par l’organisme de Sécurité Sociale d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

Le principe souvent oublié est celui de l’indépendance des législations entre le Code du Travail et le Code de la Sécurité Sociale.

L’indemnité spéciale de licenciement peut être dû par l’employeur, dès lors que l’inaptitude est partiellement rattachable à la législation sur les risques professionnels ; et ce, quelle que soit la position de la Caisse en ce sens.

Cet élément est déterminant quant à l’indemnisation du salarié licencié pour inaptitude.

C’est l’ensemble de ces règles de droit qu’il convient de présenter.


1.    Le principe de l’indépendance des législations :

L’article L 1226-10 du Code du Travail rappelle que :

« Lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient, le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel (…) ».

L’article L 1226-12 du même Code précise, quant à lui :

« Lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement.
L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l’emploi serait préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi (…) ».

Enfin, l’article L 1226-14 précise :

« La rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L 1234-5, ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L 1234-9 (…) ».

La jurisprudence de la Cour de cassation est cependant venue rappeler, à plusieurs reprises, que le caractère professionnel de l’inaptitude est complètement indépendant des positions arrêtées par les Caisses de Sécurité Sociale.

Ainsi, aux termes d’un arrêt du 13 février 2013, la Cour de cassation est venue préciser :

« La décision de reconnaissance d’une maladie professionnelle par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie est sans incidence sur l’appréciation par le Juge prud’homal de l’origine professionnelle ou non de l’inaptitude ».

Dans le même sens, aux termes d’un arrêt du 10 décembre 2014, la Cour de cassation précise encore :

« (…) Sans se borner à se référer à la décision de la juridiction de Sécurité Sociale, la Cour d’appel, appréciant souverainement la portée de l’ensemble des éléments de preuve qui lui étaient soumis, a constaté que le salarié n’avait pas été victime d’un accident du travail, le 1er juillet 2009, et qu’elle ne rapportait pas la preuve d’un état dépressif en lien avec ses conditions de travail ».

Cette position est constante et ce, au nom du principe de l’indépendance des législations.
(Cass. Soc. 22 novembre 2017 n°16-12.729)

La position des organismes de la Sécurité Sociale sur l’existence d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle est donc inopérante pour apprécier si l’inaptitude est d’origine professionnelle ou pas.

Les Caisses de la Sécurité sociale n’ont même pas besoin d’être saisies d’une telle demande pour que le salarié puisse revendiquer auprès de son employeur le bénéfice de l’indemnité spéciale de licenciement liée à une inaptitude d’origine professionnelle.


2.    Une inaptitude d’origine partiellement professionnelle suffit :

Il ne convient pas de retenir que les conditions d’exécution d contrat de travail doivent être la cause exclusive ou déterminante de l’inaptitude du salarié.

Il suffit que les conditions de travail aient pu contribuer, au moins pour une part, à l’inaptitude pour que cette dernière soit considérée comme étant d’origine professionnelle et que le salarié puisse bénéficier de l’ensemble des avantages liés à l’inaptitude d’origine professionnelle précitée.

La Cour de cassation est venue préciser que les règles spécifiques applicables au salarié inapte, victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quelque soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet Accident ou cette maladie.
(Cass. Soc. 23 septembre 2009 n°08-41.685)
(Cass. Soc. 31 mars 2016 n°14-17.471)

L’employeur, dès lors qu’il a connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement, doit appliquer les dispositions protectrices des articles L 1226-10 et suivants du Code du Travail.
(Cass. Soc. 2 octobre 2019 n°18-20.069)


3.    Le montant de l’indemnité spéciale de licenciement lié à l’inaptitude professionnelle :

Le salarié déclaré inapte à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, ayant été licencié en raison de l’impossibilité de reclassement ou de son refus de l’emploi proposé, a ainsi droit à une indemnité spéciale de licenciement, prévue à l’article L 1226-14 du Code du Travail.

Son montant est, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, égal au double du montant de l’indemnité légale de licenciement.

La Cour de cassation est venue préciser, aux termes d’un arrêt du 24 mai 2023, que le montant de l’indemnité spéciale de licenciement doit être supérieur à celui de l’indemnité conventionnelle de licenciement, si elle existe.
(Cass. Soc. 24 mai 2023 n°21-24.176)

Il convient, à ce titre, d’appliquer le principe de faveur.

Si l’indemnité conventionnelle de licenciement est plus favorable que l’indemnité spéciale de licenciement, le salarié peut revendiquer l’indemnité conventionnelle de licenciement.

L’indemnité spéciale de licenciement est égale au double de l’indemnité légale, et non pas au double de l’indemnité conventionnelle de licenciement.

Par ailleurs, le salarié a également droit au versement d’une indemnité compensatrice, d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis.

Cette indemnité n’a cependant pas la nature d’une indemnité de préavis, au sens propre : elle ne donne pas droit à congés payés.
(Cass. Soc. 1er mars 2023 n°21-19.865)

Seul un refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé peut justifier le non-paiement des indemnités de rupture spécifiques, en cas d’inaptitude d’origine professionnelle.

Ce principe est également rappelé à l’article L 1226-14 du Code du Travail précité.

Cependant, ce refus doit être abusif.

Il s’agit d’un refus sans motif légitime d’un emploi comparable et approprié aux nouvelles capacités du salarié.

Dès lors que la proposition de reclassement de l’employeur a entraîné une modification du contrat de travail ou de l’économie générale du contrat de travail, le refus du salarié n’est pas abusif.

Ainsi, le refus par le salarié du seul poste que l’employeur pouvait lui proposer, ne caractérise pas, en soi, un refus abusif autorisant l’employeur à ne pas verser l’indemnité spéciale de licenciement.
(Cass. Soc. 13 septembre 2023 n°21-11.894)


4.    L’indemnisation du licenciement, en cas d’inaptitude non professionnelle :

Il convient ici d’appliquer les règles de droit commun, prévues à l’article L 1234-9 du Code du Travail.

Le salarié, s’il bénéficie d’au moins 8 mois d’ancienneté, peut bénéficier du paiement de son indemnité légale de licenciement.

Si l’indemnité conventionnelle est plus favorable, il convient d’appliquer le régime prévu par la Convention Collective.

Le salarié ne bénéficie pas du paiement d’une indemnité compensatrice de préavis.

Il n’a pas exécuté le préavis.

Cependant, la durée de ce préavis est un élément à prendre en compte, au titre de l’ancienneté, pour le calcul d’une indemnité légale de licenciement.
(Cass. Soc. 22 novembre 2017 n°16-13.883)

En matière de licenciement pour inaptitude, les enjeux financiers sont donc conséquents et toutes les parties au contrat de travail doivent penser à se faire utilement accompagner.

 

Gérald CHALON, avocat à Reims en droit du travail et droit public
Gérald CHALON
Avocat associé

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