Le seul dépassement de la durée maximale quotidienne de travail cause un préjudice au salarié ouvrant droit à réparation

Dans un arrêt rendu le 11 mai 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation a assoupli sa jurisprudence dans l’intérêt du salarié victime d’un non-respect de la réglementation sur la durée maximale quotidienne de travail.
En l’espèce, une salariée employée comme préparatrice en pharmacie dans un Ehpad avait saisi le Conseil des Prud’hommes de diverses demandes à la suite de la rupture de son contrat de travail. Elle sollicitait notamment des dommages et intérêts pour non-respect de la durée de travail quotidienne maximale de 10 heures. Elle obtenait gain de cause en première instance mais était déboutée en appel, au motif qu’elle ne démontrait pas avoir subi un préjudice du fait du non-respect de la réglementation sur la durée journalière de travail.
Elle formait un pourvoi en cassation faisant valoir que « la méconnaissance des dispositions impératives relatives aux durées maximales de travail cause nécessairement un préjudice au salarié », lequel n’a dès lors pas besoin de rapporter d’autres éléments de preuve de son préjudice.
La question soumise à la Haute juridiction était ainsi la suivante : Le dépassement de la durée maximale quotidienne de travail cause-t-il nécessairement un préjudice au salarié ou ce dernier doit-il apporter des éléments justifiant du préjudice subi pour obtenir réparation ?
Pour comprendre l’enjeu du débat, il convient de rappeler que la Cour de cassation a pendant longtemps estimé que certains manquements de l’employeur à ses obligations causaient nécessairement un préjudice au salarié.
Elle a abandonné cette jurisprudence dite « du préjudice nécessaire » par un arrêt du 13 avril 2016 et imposé par la suite au salarié de justifier du préjudice subi du fait du non-respect de la réglementation.
Elle a depuis admis certaines exceptions à cette solution, permettant au salarié d’obtenir une indemnisation sans rapporter la preuve d’un préjudice particulier. Il en est ainsi par exemple, lorsque l’employeur n’a pas mis en place d’institutions représentatives du personnel ou n’a pas accompli les diligences nécessaires à leur mise en place dans le cadre d’un licenciement économique (Cass.soc., 17 octobre 2018) ou encore, en cas de dépassement de la durée maximale hebdomadaire de travail (Cass.soc., 26 janvier 2022).
Par le présent arrêt du 11 mai 2023, censurant l’arrêt de la Cour d’appel de Paris pour violation de la loi, elle est venue compléter la liste des dérogations en affirmant que le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail quotidienne ouvre droit à réparation.
Il est intéressant de relever que la Cour de cassation fait référence à la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 pour justifier sa décision, relevant que les dispositions de l’article L.3121-34 du code du travail relatif à la durée quotidienne de travail effectif (dans sa rédaction antérieure à la loi du 8 août 2016), « participent de l’objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d’un repos suffisant et le respect effectif des limitations de durée maximales de travail ».
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Comme toujours, la Justice doit rechercher ici le délicat équilibre entre :
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