Non-concurrence et non-sollicitation : la protection systématique du salarié
Ces deux dernières années, la jurisprudence a confirmé la protection des intérêts du salarié dans les contentieux relatifs à l’application des clauses de non concurrence et de non sollicitation, que ce soit des clauses de non sollicitation du personnel ou de clientèle. L’occasion de faire le point sur ces notions et l’apport de la jurisprudence avec Me Gérald CHALON, spécialiste en droit du travail.
Ces deux dernières années, la jurisprudence a confirmé la protection des intérêts du salarié dans les contentieux relatifs à l’application des clauses de non concurrence et de non sollicitation, que ce soit des clauses de non sollicitation du personnel ou de clientèle.
L’occasion de faire le point sur ces notions et l’apport de la jurisprudence.
1. La clause de non concurrence, qui restreint la liberté de travailler du salarié a été strictement encadrée par les Juges de la Cour de cassation qui exigent une clause :
- écrite dans le contrat de travail ou prévue par la Convention Collective,
- nécessaire à la protection des intérêts légitimes de l’employeur,
- limitée dans le temps,
- limitée dans l’espace
- et qui prévoit une contrepartie financière.
(Cass. Soc. 10 juillet 2002, n°00-45.135)
(Cass. Soc. 18 septembre 2002, n°99-46.136)
La Cour de cassation ne s’est jamais départie de l’ensemble de ces critères cumulatifs.
Aux termes d’un arrêt du 26 janvier 2022, la Haute Juridiction est venue préciser l’articulation entre la rupture conventionnelle et la levée de la clause de non-concurrence.
Aux termes d’un premier arrêt du 29 janvier 2014 (n°12-22.116), la Cour de cassation avait considéré, en cas de rupture conventionnelle, que le délai de renonciation courait à compter de la rupture du contrat. La Haute Juridiction vient d’opérer un revirement important.
En effet, elle vient de juger, aux termes de son arrêt du 26 janvier 2022, que désormais l’employeur doit renoncer à la clause de non-concurrence au plus tard à la date de rupture fixée par la convention, nonobstant toute stipulation ou disposition contraire.
(Arrêt n°20-15.755)
La motivation de la Haute Cour, rappelée dans sa décision du 26 janvier 2022, est d’éviter que le salarié ne soit laissé dans l’incertitude quant à l’étendue de sa liberté de travailler.
Ce faisant, la Cour de cassation a calqué cette position sur celle déjà exprimée à propos de la rupture d’un contrat de travail dans le cadre d’un contrat de sécurisation professionnelle.
Elle avait, en effet, décidé que dans le cadre d’un licenciement économique et du recours à un contrat de sécurisation professionnelle, l’employeur peut renoncer à une clause de non-concurrence au plus tard à la date de départ effectif de l’entreprise, en rappelant que ce principe doit recevoir application, quelque soit les stipulations et dispositions contraires.
(Cass. Soc. 2 mars 2017, n°15-15.405)
Ces évolutions sont d’autant plus importantes que l’employeur qui renonce à la clause hors délai reste tenu au paiement de l’indemnité de non-concurrence.
(Cass. Soc. 19 juillet 2000, n°98-42290)
A propos de la méthode de calcul de l’indemnité de non-concurrence et de son assiette, la chambre sociale de la Cour d’Appel de Versailles a rappelé que : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de lois à ceux qui les ont faits » et qu’à défaut d’ambiguïté, les Juges du fond n’ont pas à rechercher « la commune intention des parties, les causes claires et précises ne sauraient être susceptibles d’interprétation, ni d’être dénaturées. » En l’espèce - La société arguait d’une erreur matérielle affectant la clause, la contrepartie financière. La clause était libellée de la manière suivante : « Monsieur X. percevra une contrepartie financière mensuelle brute, correspondant à 2/10èmes de sa rémunération moyenne annuelle brute. » Une telle rédaction était dénuée de toute ambiguïté. La chambre sociale de la Cour d’appel l’a validée et l’employeur est resté redevable d’une contrepartie à hauteur de 11.251,89 euros/mois bruts durant un an.
2. La Cour de cassation est ensuite venue récemment clarifier les conditions d’articulation des clauses de non-concurrence pour les actionnaires qui sont détenteurs ou anciens détenteurs de droits sociaux.
De façon constante, la Cour de cassation a toujours fait prévaloir les dispositions du Code du Travail pour l’actionnaire qui, en même temps, est salarié.
Un pacte d’associé peut prévoir une obligation de non-concurrence.
Cependant ici, dans les rapports entre associés, la Cour de cassation n’impose pas de contrepartie financière.
En revanche, si l’associé est en même temps salarié, la législation spéciale issue du Code du Travail s’impose et la clause de non-concurrence doit intégrer une contrepartie financière, en plus d’être limitée dans le temps et l’espace, et d’être nécessaire à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise.
(Cass. Com. 15 mars 2011, n°10-13.824)
(Cass. Com. 4 octobre 2016, n°15-15.996)
Il a fallu attendre un arrêt du 10 novembre 2021 pour que la Cour de cassation apporte une précision pour les clauses de non-concurrence consenties par le cédant de droits sociaux et donc, par définition, non associé. Ici encore, la Cour de cassation fait primer l’application du droit du travail et les garanties liées au statut du salarié si, au jour de la signature de l’acte de cession, le cédant est titulaire d’un contrat de travail ou d’une promesse d’embauche valant contrat de travail.
La Haute Juridiction a ainsi précisé : « Après avoir énoncé qu’une clause de non concurrence insérée dans une convention de cession de titres est licite lorsque les obligés n’ont pas la qualité de salariés au jour de la souscription de l’obligation et que la clause est limitée dans le temps et l’espace, et proportionnée aux intérêts légitimes à protéger, l’arrêt relève que, lors de la signature du protocole de cession contenant la clause de non-concurrence contestée, le requérant, alors associé et dirigeant de la société X, n’avait pas la qualité de salarié de cette société et ne bénéficiait que d’une simple promesse d’embauche En cet état, c’est à bon droit que la Cour d’Appel n’a pas soumis la validité de la clause de non-concurrence litigieuse à la condition qu’elle soit assortie d’une contrepartie financière ».
Il ressort donc de cet attendu que c’est au jour de la souscription de l’obligation qu’il faut vérifier la qualité du débiteur de l’obligation de non-concurrence.
3. La Cour de cassation est également intervenue pour éclairer les conditions de validité des clauses de non-sollicitation du personnel.
Ce type de clause ne doit pas être confondue avec la clause de non-sollicitation de la clientèle.
Cette dernière clause interdit à celui qui la souscrit d’entrer en relation avec les clients de l’autre partie.
La Cour de cassation a précisé que la clause de non-sollicitation de la clientèle est assimilable à une clause de non-concurrence et, dans le cas où elle a été souscrite par un salarié, de telles clauses sont soumises à l’ensemble des critères de validité de clause de non-concurrence.
(Cass. Soc. 15 mars 2017, n°15-28.142)
La clause de non-sollicitation du personnel a pour objet, quant à elle, d’empêcher le recrutement de salariés d’une des parties par l’autre partie.
Elle est souscrite dans les contrats entre employeurs et, souvent, dans les contrats de prestations de services.
Le client au contact direct du salarié mis à disposition peut, en effet, être tenté de le recruter, plutôt que de poursuivre sa relation avec le prestataire.
La Cour de cassation a toujours jugé que de telles clauses de non-sollicitation du personnel ne constituent pas des clauses de non-concurrence, même si elles intéressent le sort d’un salarié.
Aux termes d’un arrêt du 11 juillet 2006, la Cour de cassation a ainsi relevé qu’une clause de non-sollicitation du personnel ne constitue « ni une variante, ni une précision d’une clause de non concurrence et n’a pas l’obligation de répondre à l’ensemble des critères de validité d’une clause de non concurrence ».
(n°04-20.438)
Cependant, même si de telles clauses de non-sollicitation du personnel ne sont pas enfermées dans les critères de validité des clauses de non-concurrence, elles ne sont pour autant laissées à aucune limite et contrainte et, ainsi, à la seule liberté contractuelle des parties.
De telles clauses de non-sollicitation du personnel portent atteinte à la liberté d’entreprendre, mais également à la liberté du travail.
La Cour de cassation est venue clarifier, dans son arrêt du 27 mai 2021, qu’une telle clause n’est valable que « si elle est proportionnée aux intérêts légitimes à protéger compte tenu de l’objet du contrat ».
(n°18-23.261)
Pour autant, la Cour de cassation ne donne aucune indication sur les critères à prendre à prendre en compte pour apprécier le bilan de proportionnalité, et renvoie à l’appréciation des Juges du fond, en fonction de l’ensemble de la situation propre à chaque espèce.
La limitation dans le temps de telles clauses de non-sollicitation du personnel sera un des éléments à prendre en compte.
D’ailleurs, la Cour d’appel, dans l’affaire pour laquelle la Cour de cassation s’est prononcée aux termes de son arrêt du 27 mai 2021 précité, avait pris en compte ce critère.
Les salariés sont nécessairement concernés par de telles clauses de non-sollicitation du personnel, en ce qu’elles restreignent leur liberté individuelle.
Le salarié est un tiers au contrat entre les deux sociétés ayant recouru à une clause de non-sollicitation du personnel.
Pour autant, de telles clauses peuvent le léser directement.
La Cour de cassation a ainsi dit, dans un arrêt du 2 mars 2011, que : « La Cour d’appel qui a relevé qu’en exécution de la clause de non-sollicitation conclue entre son employeur et la société SOPHIS, le salarié n’avait pas pu être engagé par cette dernière jusqu’en février 2008, en a exactement déduit que cette clause avait porté atteinte à sa liberté de travailler et que son employeur devait l’indemniser du préjudice qu’il lui avait ainsi causé. »
(Cass. Soc. 2 mars 2011, n°09-40.547)
C’est ici davantage sur le terrain de la responsabilité civile quasi délictuelle qu’il faut situer le litige.