Prud’hommes : le barème « Macron » est validé par la Cour de cassation
Soc. 11 mai 2022, FP-B+R, n° 21-15.247 et n°21-14.490
C’est la fin d’un feuilleton ! Ils étaient attendus ces arrêts de la Cour de cassation : cela fait un quinquennat que l’on discute de la validité de cette mesure phare de la précédente élection présidentielle qui consistait à encadrer les indemnités allouées en Justice aux salariés licenciés « sans cause réelle et sérieuse ».
Les français sont rebelles et les Conseils de Prud’hommes et Cours d’appel aussi : il y avait les « pour » qui s’en tenaient au barème (Le Mans, Caen, Le Havre, Saint Nazaire) et les « contre » qui l’écartaient, de manière absolue, ou au cas par cas (Troyes, Amiens, Lyon, Grenoble, Angers, Agen, Bordeaux, Martigues, Montpellier, Longjumeau, Reims, Paris, Bourges).
Pour ces deux affaires, tout le monde était là (ou presque) : les parties en cause (employeurs et salariés licenciés), mais aussi Pôle Emploi, le MEDEF, la CFDT, FO, mais encore les syndicats d’Avocats AVOSIAL (syndicat d’Avocats d’entreprise en droit social) et le SAF (syndicat des Avocats de France), dont les interventions volontaires accesoires ont cependant été jugées irrecevables pour défaut d’intérêt à soutenir l’une des parties pour la conservation de ses droits.
Y sont non seulement visés des articles du Code du travail, mais aussi l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui prévoit que la Loi doit être la même pour tous, « soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».
Le 17 juillet 2019, la Cour de cassation, dont l’avis était sollicité par les Conseils de Prud’hommes de Louviers et de Toulouse qui avaient à se prononcer dans des affaires, s’était certes déjà prononcée en faveur de ce barème (Cass. avis, 17 juill. 2019, n° 19-70.010, n° 15012 P + B + R + I Cass. avis, 17 juill. 2019, n° 19-70.011, n° 15013 P + B + R + I Note explicative, 17 juill. 2019) ; mais elle n’avait pas encore rendu de véritables arrêts.
Rappelons que l’ordonnance du 22 septembre 2017 avait modifié l’article L.1235-3 du Code du travail et instauré un barème par tranches d’ancienneté d’un an jusqu’à 30 ans, avec un maximum qui est le même quelque soit l’effectif et un minimum variant selon que l’entreprise emploie, ou non, au moins 11 salariés.
C’est évidemment toujours l’application du maximum qui était contesté par les salariés dans les décisions rendues par les tribunaux, mais on pourrait imaginer, surtout à l’heure du retour au plein emploi, que ce soit l’employeur qui se mette à demander à ce qu’on écarte le plancher d’indemnité au regard de la faiblesse du préjudice subi par un salarié qui aurait par exemple retrouvé un emploi aussitôt après son licenciement, voire pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur.
Quoiqu’il en soit, rappelons également que ce barème prévoit des plafonds d’indemnité qui vont de 1 mois (en-deça d’un an d’ancienneté) à 20 mois de salaire brut (pour une ancienneté de 30 ans et au-delà).
Rappelons encore que ce texte prévoit la possibilité pour le juge, jamais utilisée, de déduire de l’indemnité qu’il fixe dans le cadre de ce barème, le montant des indemnités de licenciement déjà versées au salarié au-delà de l’indemnité légale de licenciement. C’est notamment le cas de nombreuses conventions collectives de branche, plus favorables aux salariés que le Code du travail, ou des indemnités négociées dans le cadre de plans de sauvegarde de l’emploi.
A l’inverse, le texte prévoit également que cette indemnité accordée par les juges pour licenciement sans cause réelle et sérieuse se cumule, le cas échéant, avec l’indemnité d’au moins un mois de salaire, accordée en cas de licenciement économique, soit en cas de non-respect de la priorité de réembauchage, soit en cas de carence irrégulière de représentants du personnel, ou encore avec les dommages intérêts pour non respect de la procédure de consultation des représentants du personnel ou d’information de l’Administration en cas de licenciement collectif.
Très controversé, ce fameux barème avait immédiatement été jugé conforme à la Constitution par le Conseil Constitutionnel (Cons. const. 21 mars 2018, n° 2018-761 DC). Mais demeurait soulevée la question de sa conformité à deux textes internationaux :
La Charte Sociale Européenne adoptée par les États membres du Conseil de l’Europe :
L’article 24 de cette Charte prévoit un « droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».
Certains considèrent qu’en plafonnant l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en restreignant ainsi le pouvoir des juges, l’article L.1235-3 de notre Code du travail conduisait à priver certains salariés d’une réparation adéquate de leur préjudice réel.
Dans un de ses deux arrêts (n°21-15.247), la Cour de cassation ne répond pas à cette question et rappelle qu’il n’appartient pas aux juges nationaux d’écarter une Loi française pour appliquer directement cette Charte.
En effet, la Cour de cassation avait déjà rappelé dans ses avis de 2019 que cette Charte se contente de fixer des objectifs que chaque Etat doit traduire dans ses textes internes, à charge pour le Comité Européen des Droits Sociaux (« CDES »), dont les décisions ne s’imposent pas non plus aux juges nationaux, de le contrôler.
Ainsi, même si le CDES s’est déjà prononcé en défaveur de barèmes similaires institués en Italie et en Finlance, cela n’autorise pas les juges français de s’affranchir du nôtre.
La Convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail (« OIT ») :
L’article 10 de cette Convention est similaire au précédent texte européen, puisqu’il prévoit que lorsque son licenciement est « injustifié », le salarié doit pouvoir obtenir une indemnité « adéquate » en Justice. Mais cette fois, le texte international a bien un « effet direct » sur le droit français, de sorte que les juges doivent l’appliquer et donc vérifier si notre barème légal le respecte.
Dans un de ses deux arrêts (n°21-14.490), la Cour de cassation fait sienne l’interprétation de l’adjectif « adéquate » qui avait été retenue en 1997 par le Comité désigné par le Conseil d’Administration de l’OIT, saisi par des syndicats vénézuéliens, à savoir que l’indemnité doit :
• « Être suffisamment dissuasive» :
La Cour adopte une vision globale de notre dispositif légal en rappelant que l’indemnité prévue à l’article L.1235-3 de notre Code se cumule avec la condamnation automatique prévue à l’article L.1235-4 du même Code. Ce-dernier prévoit que le juge doit ordonner, au besoin d’office (c’est-à-dire même si cela ne lui est pas demandé) le remboursement par l’employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de 6 mois.
Ainsi, la Cour de cassation ne se cantonne pas à l’évaluer la suffisance des indemnités allouées par le barème aux salariés, mais apprécie si notre législation remplit son objectif de « dissuasion » en se plaçant aussi du point de vue du justiciable ‘fautif ‘. Ainsi, la ‘double peine’ infligée à l’employeur qui doit d’une part indemniser le salarié et, d’autre part rembourser Pôle Emploi, est considérée comme suffisamment dissuasive.
Il est vrai que cette disposition a longtemps été délaissée par les Conseils de Prud’hommes, était peu appliquée faute de recours de Pôle Emploi, est encore peu connue du grand public et rarement prise en compte par les employeurs dans l’évaluation de leurs risques et de leurs provisions.
• « Raisonnablement permettre l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi» :
Là encore la Cour adopte une vision synoptique de notre législation en rappelant que le barème de l’article L.1235-3 est complété, pour les cas considérés comme les plus graves, par l’indemnité plancher prévue à l’article suivant, L.1235-3-1.
En effet, ce texte prévoit que lorsque le licenciement n’est pas seulement jugé sans cause réelle et sérieuse, mais nul, alors le juge n’est pas tenu par le barème de l’article L.1235-3, mais cette fois par un plancher équivalent à 6 mois de salaires, et plus aucun plafond.
Il s’agit notamment des cas de licenciements consécutifs à un harcèlement, moral ou sexuel, à une action en justice en matière d’égalité hommes-femmes, à une dénonciation de crimes et délits, de licenciements constitutifs d’une discrimination, d’une violation d’une liberté fondamentale, telle que la liberté syndicale, la liberté d’expression ou d’entreprendre, le droit de grève, le droit à la protection de la santé, le droit d’agir en Justice, de licenciements en raison de l’exercice d’un mandat protecteur (électoral ou syndical), ou encore prononcés en méconnaissance des protections prévues pour la grossesse, la maternité, la prise d’un congé d’adoption, de paternité, parental ou pour maladie d’un enfant et pour les maladies professionnelles et accidents du travail.
Ainsi dans ces nombreux cas nullité, l’articulation des textes permet aux Juges d’accorder une indemnisation sans limite, au regard du préjudice subi et même sans considération du préjudice réel s’il est inférieur au plancher de 6 mois de salaire brut.
Enfin la Cour de cassation rappelle que la progressivité du barème en fonction de l’ancienneté, assez fine puisque décomptée par tranches d’une année, permet une indemnisation adéquate (ce qui n’aurait par exemple pas forcément été le cas si le barème avait été composé autour de larges tranches de 10 ans d’ancienneté).
Elle y ajoute également qu’en variant en fonction du salaire mensuel perçu par le salarié, ce barème est effectivement adapté à chaque cas de figure (ce qui n’aurait par exemple pas forcément été le cas si le barème avait visé des sommes forfaitaires en euros, comme c’est le cas des amendes pénales par exemple).
Enfin la Cour de cassation écarte toute faculté aux juges du fond, comme se l’étaient réservé les Cours d’appel de Paris (CA Paris, ch. 6-3, 18 sept. 2019, n° 17/06676 ; CA Paris, ch. 6-11, 16 mars 2021, n° 19/08721, celui-là même qui est cassé le 11 mai 2022 par la Cour de cassation), de Reims (CA Reims, ch. soc., 25 sept. 2019, n° 19/00003), de Bourges (CA Bourges, ch. soc., 6 nov. 2020, n° 19/00585) et de Grenoble (CA Grenoble, ch. soc. sect. B, 30 sept. 2021, n° 20/02512) d’apprécier « in concreto », c’est-à-dire au cas par cas et dans chaque affaire, si le barème permet une réparation « adéquate » et donc le respect de la Convention n°158 de l’OIT.
Soucieux de préserver la sécurité juridique, la Cour de cassation vise expressément le principe d’égalité devant la Loi prévu à l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Par conséquent, il n’appartient pas aux juges d’écarter la Loi au cas par cas, mais au législateur de la réviser si elle devient inadaptée.
C’est en ce sens que va le récent rapport du 16 février 2022 de l’OIT, saisie de réclamations contre le barème français par la CGT et FO et qui conclue à sa conformité de principe à la Convention n°158 dès lors qu’il demeure suffisant et adéquat, invitant l’Etat français à vérifier régulièrement que « les paramètres prévus par le barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate ».
Ainsi, le Parlement révisera peut-être un jour les nombres de mois de salaires ou les tranches d’ancienneté prévus ce barème « Macron », après avoir consulté les partenaires sociaux, mais en attendant, la Loi et ce barème s’imposent aux juges qui doivent le respecter, tel qu’il est prévu dans le Code.
D’ailleurs, la Cour de cassation a aussi rappelé récemment que ce barème légal s’entend de sommes brutes et non nettes (Cass. soc., 15 déc. 2021, n° 20-18.782 : dans cette affaire la Cour d’appel avait accordé 63.000 euros « nets » à un ouvrier et la Cour de cassation a rectifié directement, sans renvoi, en lui attribuant 63.000 euros « bruts »).
Ce n’est pas tous les jours que des juges (en l’occurrence ceux de la Cour de cassation) freinent leurs collègues et se souviennent que la Déclaration de 1789, née de la Révolution, est aussi le fruit d’une réaction à ce qui fut appelé plus tard « le gouvernement des Juges ».
L’un de ces arrêts de la Cour de cassation casse un arrêt de la Cour d’appel de Paris. Comme on dit dans les prétoires : « Les débats sont clos » !
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