Incendie du train Paris Munich : Analyse des normes (UIC et RIC riment-elles avec sécurité?)

Publié le

Lundi 21 mars 2011
Aujourd’hui, les experts doivent être entendus sur les normes « UIC ».

Au préalable, la Présidente donne la parole à M. SELIG, représentant de la DB.
M SELIG
Il n’est arrivé à la DB qu’en 2004, mais il a étudié le dossier pour pouvoir répondre aux questions. Il explique que pour lui, et au regard des travaux des experts qui ont été mandatés par la DB, le wagon sinistré respectait les normes. On a cru deviner ces derniers jours que ces fiches étaient sur certains points soit obsolètes soit peu adaptées ou peu exigeantes à l’encontre de certaines machines.
La Présidente interroge : « ne peut-on pas aussi se positionner sur le terrain de la prudence pour considérer qu’il faut respecter même les points de sécurités non exigés par les fiches ? »
Le témoin répond que s’il est vrai qu’on attend de machines qui peuvent avoir une durée de vie de 40 ou 45 ans qu’elles soient régulièrement adaptées aux progrès techniques, certaines modifications ne sont pas envisageables du fait de la globalité de changements qu’elles impliquent. En l’occurrence, la voiture de la DB avait subit des mises en conformité dans les années 1990 qui ont donné lieu à vérification et à nouvelle autorisation de mise en circulation.
Pour déterminer quelles sont les adaptations à effectuer, désormais une analyse des risques est faite. Quant à la pratique de l’époque, il ne peut pas vraiment nous renseigner…

En ce qui concerne la fermeture des portes. M. SELIG évoque la réunion du « Ten Pool » qui s’est tenue en 1971 afin que l’Union des chemins de fer sur les transports de nuit se concerte pour uniformiser les normes en matière de sécurité. C’est à cette époque qu’il a été décidé de mettre des crochets aux portes, une pratique uniforme à plusieurs réseaux à cette époque, à la seule différence que seul le système allemand utilisait une clé spéciale au lieu de la clé de berne habituelle pour fermer les couloirs intérieurs. La préoccupation essentielle est d’assurer la sécurité des passagers contre les agressions et les vols. Pour s’assurer des autres volets de la sécurité, l’accompagnateur était présent. Le témoin comprend tout de même le comportement de M. JANZ qui a cédé à la panique.
« Ce n’est pas très rassurant » constate la Présidente. Personne n’a critiqué le fait que M. JANZ pose son sac sur la plaque, il a eu une formation minimaliste et le représentant de la DB arrive à « comprendre » ou en tout cas, comme il le précise, à « expliquer » un tel comportement. Il aura l’occasion de revenir sur cette question de la pratique du sac posé sur la plaque chauffante.
N’osant visiblement pas mettre en doute la parole de M. JANZ en affirmant ne pas connaitre la réaction de sa hiérarchie à l’époque, il dit tout de même que des personnes en charge du contrôle qualité affirment procéder régulièrement à des contrôles. Un des points particuliers de ce contrôle consiste à vérifier que les affaires des stewards sont correctement rangées.
Quant à la faible formation du steward, elle s’explique - selon lui - par la grande expérience qu’avait M. JANZ des wagons lit ce qui dans la pratique de l’époque ne justifiait pas une formation plus longue. Il ajoute que les fonctions sont clairement scindées au sein du système allemands entre les stewards qui ont essentiellement un rôle d’accompagnement des voyageurs et les contrôleurs et chef de train qui ont eux une formation plus longue du fait des responsabilités plus lourdes qu’ils ont en termes de sécurité.
Pour lui, là est toute la différence entre les systèmes français et allemands. En Allemagne, le « chef » est facilement reconnaissable à son bandeau rouge. C’est lui qu’il faut prévenir en cas de problème. Mais il faut rappeler que cette question s’inscrit dans la question plus large de savoir si M. JANZ a eu le bon comportement en allant à tout prix chercher le chef de train.

C’est donc en toute logique que Me CHEMLA et la Présidente questionnent le témoin sur ce point plus précis. La réponse, floue, n’est pas à la hauteur des attentes.
Nous donnant deux réponses distinctes correspondant à la façon dont lui-même aurait réagit et à ce qu’il fallait faire, le témoin affirme :
Þ   une première fois qu’il faut d’abord tirer le signal d’alarme, couper l’oxygène au foyer, réveiller les passagers et les évacuer. Il souligne qu’en Allemagne, tirer le signal d’alarme est moins problématique qu’en France car le conducteur peut décider de retarder le moment d’arrêt du train s’il l’estime opportun.
Þ   A une autre occasion, il affirme que la procédure à suivre est la suivante : alerter les collègues, puis le chef de train, arrêter la ventilation et évacuer les passagers avant d’essayer d’éteindre le feu.
Ses explications laissent une sensation de doute. Comme si finalement aujourd’hui encore les attitudes à adopter en pareille situation ne sont toujours pas claires.
On retiendra seulement qu’en cas d’urgence, tous les agents sont autorisés à intervenir pour prendre les premières mesures avant de prévenir le chef de train qui décidera du reste de la procédure à suivre.

La Présidente veut aussi savoir pourquoi la DB a fait pendant l’instruction prévaloir des arguments pour que la SNCF soit mise en cause. La présidente souligne que si la SNCF est condamnée, elle le sera pour avoir fait rouler sur son réseau un wagon de la DB non conforme aux règles en vigueur. Ce qui implique de facto une responsabilité de la DB.
Le représentant de la compagnie allemande répond que, entre décembre 2001 et novembre 2002, la DB a demandé des contrôles de wagon à la France à Fréjus, Avignon et Narbonne. Dans ce cadre, la SNCF a contrôlé 34 wagons-lits du modèle en cause et rien n’a été critiqué. La DB assumera dit-il sa part de responsabilité si responsabilité il y a en tant que propriétaire et utilisateur mais certains éléments de sécurité relevaient du contrôle que devait effectuer la SNCF à partir du moment où le train avait passé la frontière. Pour lui, le problème réside aussi dans le fait que les wagons ne pouvaient communiquer avec la locomotive parce que la SNCF n’avait pas prévu l’adaptateur nécessaire.

Il faut noter tout de même qu’un point laisse le témoin perplexe : pour lui, le wagon a toujours possédé deux extincteurs, et ce même lors de la visite de contrôle qui a eu lieu le 4 novembre. Il ne s’explique pas pourquoi le jour de l’accident il en manquait un.
Le retour de M  KLENIEWSKI ....
C’est ensuite au tour de M. KLENIEWSKI de s’exprimer. Il a laissé une si mauvaise impression la semaine dernière que manifestement plus personne ne le prend au sérieux.
Prudente, la Présidente lui demande de s’en tenir aux points soulevés par l’ordonnance de renvoi en ce qui concerne le respect des normes UIC.  C'est-à-dire :
-       au système de fermeture sur les portes extérieures
-       au système de fermeture sur les portes de couloir
-       au fait qu’il n’y ait qu’un seul extincteur
-       au fait que les marteaux brise vitre étaient mal signalés

M. KLENIEWSKI qui manifestement n’a toujours pas compris son rôle, se propose de répondre au rapport de M. MAESTRINI que nous devons entendre dans l’après midi. La Présidente le coupe et lui demande de s’en tenir à ses propres conclusions. Elles seront brèves :

Il constate :
-       Que les fiches UIC imposent qu’il y ait deux extincteurs alors qu’ici il n’y en avait qu’un qui plus est situé à distance du point chaud.
-       En ce qui concerne les portes extérieures, elles doivent être ouvrables à la clé de berne que possède tant le personnel français qu’allemand, tant de l’extérieur que de l’intérieur. Donc, les crochets ont empêché l’intervention des secours dans un temps raisonnable.
-       En ce qui concerne les portes intérieures de couloir, elles étaient fermées par la clé plate vachette dont le personnel français ne disposait pas ce qui est non conforme aux règles UIC.
-       En ce qui concerne les marteaux, ils doivent être visibles. Ils ne l’étaient pas.

Il conclut à un non respect des normes sur ces 4 points.

Pour lui, peu importe que les fiches indiquent qu’elles sont obligatoires où valable comme seule recommandation. La prudence impose de les respecter. En particulier, La fiche UIC 564-2 qui concerne la lutte contre l’incendie et qui a été éditée en 1991, s’applique à la voiture qui nous intéresse quant bien même elle fut construite en 1964 parce qu’elle fût révisée en 1999. Peu importe aussi que les crochets installés sur les portes de couloir permettaient comme le prescrit la norme UIC de l’époque une ouverture par l’intérieur, il les dit non conforme au nom de la priorité de la sécurité des voyageurs.

Notons encore que Me LAFARGE n’a pas obtenu cette fois non plus les réponses à ses questions sur  les débris de vêtements dont la présence avait semble-t-il été constatée sur la plaque.

Après la suspension de la mi-journée, Me ASSELINEAU indique qu’il a été abordé dans le couloir par l’expert qui lui a dit avoir remis un document au tribunal. Il s’en inquiète.
- « C’est une note qui n’a aucun intérêt » répond la Présidente. « Je peux la déchirer devant vous »
- Elle le fait.
Me ASSELINEAU explique également que M. KLENIEWSKI lui a dit qu’il reste à la disposition de la justice s’il est besoin d’une expertise dans une autre affaire. Il a d’ailleurs déposé son CV.
La salle s’esclaffe.
« le parquet appliquera la suite à donner à cette proposition en temps utile » clôt la présidente.

M MAESTRINI, expert UIC

Il est temps d’interroger alors M. MAESTRINI qui a suite aux faits présidé un arbitrage entre la SNCF et la DB sur l’interprétation des normes ferroviaires (UIC). Il a été missionné ensuite par la DB pour expertiser les normes applicables.

M. MAESTRINI parle un peu français mais est italien. Deux interprètes sont donc présents pour traduire ses propos. Force est de constater pourtant que tout ne se déroule pas de façon aussi fluide que d’habitude dans cette retranscription. Les paroles prononcées en italien doivent d’abord être traduite en français avant que les interprètes anglais et allemands les traduisent à leur tour pour les intéressés. M. SELIG (de la DB) dira à la fin de l’exposé qu’il n’a saisi que la moitié du propos. De notre côté, il était aussi parfois difficile de suivre M. MAESTRINI qui s’exprimait tantôt en italien, tantôt en français.

Le témoin commence par nous expliquer le principe des règles UIC et du RIC (règlement international). Il s’agit d’un accord entre les principales compagnies ferroviaires européennes. Il donne des règles à suivre pour pouvoir circuler sur les chemins internationaux. Cet accord n’est pas obligatoire, il se base sur le volontariat. Toutes les normes qui sont appliquées sont étudiées et enregistrées par cet accord. Cet accord prévoit que les voitures marquées « RIC » sont censées respecter les normes UIC.

Les fiches précisent que chaque voiture doit être équipée de deux extincteurs.

Les deux fiches qui retiennent toute notre attention sont les fiches 560 et 564-1 qui se complètent ou s’opposent sur certains points. La fiche 560 est une fiche générale sur les voitures. La fiche 565-1 est une fiche qui concerne plus particulièrement les voitures lits, elle date de 1982
La voiture sinistrée datant de 1964 elle est concernée par la fiche 560 pour la plupart des mesures, lorsqu’aucune dérogation n’est prévue par la fiche 565-1
La fiche 560 détermine, entre autres, les règles applicables aux portes. Celles-ci doivent pouvoir être ouvertes par l’intérieur et l’extérieur avec une clé commune à tous les cheminots.
A l’époque la fiche 565-1 ne précise pas que les portes de couloir ne doivent pas pouvoir être ouvertes de l’extérieur. Aujourd’hui elle le précise. Ces portes peuvent à l’époque être verrouillée mais il faut qu’elles puissent être ouvertes en cas d’urgence. En l’espèce, les crochets pouvaient être ouverts de l’intérieur par les voyageurs.

Cette fiche prévoit aussi qu’il doit y avoir un système de communication entre la voiture et le train. L’usage des téléphones portables n’est pas envisagé. Le système de communication envisagé implique qu’on ne doit pas avoir à quitter la voiture lit.
Il précise plus tard que si l’interphonie n’est pas obligatoire, la sonorisation par haut parleur l’était.

Deux autres fiches nous intéressent : les fiches  564.1 et 564.2
La 1ère concerne surtout le matériel pour casser les vitres, notamment les marteaux.
La 2e est dédiée au thème de l’incendie.

Sur la question des marteaux, la fiche 560.7.3.1.3 donne la définition des issues de secours. Cette fiche concerne surtout les wagons de voyageurs et non les wagons lits. On y explique où doivent se trouver les marteaux en fonction des sorties de secours. 3 marteaux dans le couloir et un par compartiment. Sur ce point, la présidente lui indique que les fiches semblent n’imposer qu’un marteau par wagon. L’expert, raisonnant par analogie précise : « ceci  ne s’applique que quand les fenêtres peuvent être brisées à la main. Lorsque les fenêtres sont trempées, pour qu’elles puissent être appelées « issues de secours » il faut qu’il y a ait près de chacune d’elle un marteau capable de la briser. Le wagon lit ne possédait ici ni plus ni moins de marteaux que l’imposait l’UIC ». En revanche, ils n’étaient pas suffisamment visibles.

Me CHEMLA au regard de ces explications pointe aujourd’hui encore du doigt le fait que, le faible niveau d’exigence des fiches en ce qui concerne les véhicules antérieurs à leurs rédaction permet d’accorder le label « RIC » à des voitures pourtant par définition non conforme.

Sur question de la Présidente, M. MAESTRINI précise que, contrairement à ce que l’on pourrait croire après première lecture l’accord « à huit » n’empêche pas tout contrôle. La vérification des freins par exemple est obligatoire, tout comme la ronde de sécurité.

En revanche il est vrai que la vérification technique du véhicule qui permet entre autre de déterminer s’il y a un nombre suffisant de marteaux n’est plus obligatoire si le véhicule est siglé RIC.
Lors de la ronde de sécurité, seuls les manquements graves doivent être notés. M. MAESTRINI donne l’exemple de l’absence d’un extincteur.

Pour M. Selig (DB) qui vient répondre aux explications de M. MAESTRINI, l’absence de haut parleur n’est pas un problème puisque la présence du steward est censée la pallier. On apprend pour la première fois que le steward est censé donner des consignes de sécurité à l’arrivée des passagers… Une donnée nouvelle dans ce procès.
M. JANZ explique que conformément à cette règle, il a indiqué aux passagers par gestes comment fermer leurs portes. On avait presque oublié qu’à cette période le mot « sécurité » avait un tout autre sens… Pour donner ces consignes de sécurité, il était normalement exigé du steward qu’il parle anglais, allemand et la langue du pays dans lequel il allait. La DB Autozug à qui appartient le wagon a fait confiance à la DB european rail service quant aux qualités linguistiques du personnel engagé, sans le vérifier en l’espèce…

« Le drame ne serait pas ce qu’il a été si M. JANZ n’avait pas reçu cette formation surréaliste » note Me LAFARGE. En plus de conseiller à l’accompagnateur de souffler, de se détendre ou de boire un peu, la formation précise qu’en l’absence de haut parleur, l’accompagnateur doit aller dans la voiture sonorisée et alerter sur son passage les autres personnels qui sont invités à intervenir.

Quant aux marteaux, ils étaient en surnombre selon la DB puisque la norme ne leur en imposerait qu’un par wagon. De plus dans ce wagon étaient indiqués par un autocollant signalant en 4 langues son emplacement ce qui est selon lui conforme à l’exigence de visibilité.

L’audience d’aujourd’hui aura eu le mérite d’éclaircir beaucoup de points. De révéler de nouvelles informations aussi.

Demain, les interrogatoires divers devraient permettre, alors que la phase des plaidoiries arrive à grands pas, de démêler les quelques nœuds restant…

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