Maître Chemla, l’avocat de nombreux dossiers emblématiques
Tueurs en série, catastrophes naturelles, attentats : l’avocat, à la tête du cabinet ACG, défend depuis trois décennies les parties civiles dans de nombreux dossiers emblématiques.
Par L'union | Publié le 04/07/2017
Rompu aux cours d’assises (ici, à Reims, en mars dernier), Gérard Chemla fut en 1985 l’un des fondateurs d’ACG (dans l’un des bureaux, à droite) avant de devenir une référence dans la défense des victimes.
Photographe: Photos : Remi Wafflart et Christian Lantenois
Depuis trente ans, il défend les victimes dans des dossiers trop dramatiques pour ne pas être à forte résonance médiatique. Liste non exhaustive : disparus de Mourmelon, victimes de Michel Fourniret, tsunami de 2004, crash du Rio-Paris, accidents ferroviaires, attentats de Paris, Nice, Bruxelles. En mai, son nom était sorti des pages « faits divers » pour passer dans la rubrique « politique ». Candidat surprise sur la première circonscription de la Marne, se revendiquant de la majorité présidentielle sans avoir obtenu l’investiture LREM, il fut finalement battu d’une courte tête par Valérie Beauvais au second tour.
Mais comment s’est construite cette singulière carrière ?
Gérard Chemla, 58 ans, aujourd’hui à la tête d’ACG, le plus important cabinet d’avocats de l’ex-Champagne-Ardenne qui regroupe aujourd’hui 70 personnes, dont une moitié d’avocats, a su s’entourer. Mais derrière la réussite et l’assurance se cache une personnalité complexe. Lors d’un portrait qui lui avait été consacré dans ces mêmes colonnes en avril 2016, l’intéressé répondait : « À chaque fois que je fais quelque chose, j’ai l’impression d’être un imposteur. Il y a un côté pied de nez. (…) J’ai fait des années de divan et je ne sais pas répondre à la question « Qui suis-je ? » Quand je vous dis que j’ai faim, c’est que j’ai toujours besoin d’autre chose. »
« au départ, il y a des hasards… »
Lorsqu’il nous reçoit, ce 1er juin, dans son bureau aux murs habillés de toiles XXL signées par l’artiste rémois Iemza, l’avocat vient de se déclarer candidat. Mais cette aventure censée se prolonger « au-delà des législatives », disait-il alors, n’était pas celle qui nous intéressait. L’objet de la rencontre était sa vie d’avocat, entamée le 21 décembre 1979, jour de sa prestation de serment. Gérard Chemla avait 21 ans et s’était retrouvé à faire du droit parce qu’il n’avait pu être admis en médecine – celui qui était entré en 6e à l’âge de 9 ans finira major de promo. « Au départ, il y a des hasards… », dit-il de cette voix douce qui contraste avec son presque double mètre imposant.
- « Ce que je propose aux victimes, c’est de faire ce marathon pour parvenir à faire mettre en examen, juger et arriver jusqu’à la vérité » Gérard Chemla -
L’un d’eux remonte à 1987. Le jeune pénaliste se retrouve à défendre une victime de ce qui n’était pas encore l’affaire dite des « disparus de Mourmelon », révélateur des manquements de la justice française d’alors. Devenu l’avocat de toutes les familles de victimes, il entame un combat long de quinze ans « contre la justice qui, globalement, ne voulait pas y croire ». Le 15 octobre 2003, le tueur en série Pierre Chanal se suicide au lendemain de l’ouverture de son procès devant la cour d’assises de la Marne. L’année suivante, Chemla publie avec son ami avocat Vincent Durtette, décédé dans un accident de la route en 2007, Chanal : la justice impossible – Enquête à charge. L’un des chapitres, écrit par le frère d’une victime, relate la place d’une disparue au sein d’une famille. « C’est un trou noir, une absence qui aspire toute la vie. Quinze ans après, il y avait toujours la chambre laissée en l’état », se souvient le natif de Montmirail. Il crée Victimes en série, association destinée à regrouper les victimes de tueurs en série et gagne « une identité au travers des victimes ».
Un autre « hasard » va lui faire croiser la route d’un autre prédateur. La famille d’une fille assassinée en 1987 pousse un jour la porte de son cabinet. Le dossier s’achemine vers un non-lieu avant d’être relancé huit ans plus tard par un nouveau protagoniste : Michel Fourniret, qui lieu avant d’être relancé huit ans plus tard par un nouveau protagoniste : Michel Fourniret, qui sera condamné pour ce meurtre. Chemla défend les victimes de « l’ogre des Ardennes », lors du procès qui s’était tenu en 2008 à Charleville-Mézières. Gilles Latapie, alors président de la cour d’assises des Ardennes, se souvient : « Sa rigueur cartésienne et son approche psychologique lors de l’interrogatoire de Monique Olivier (l’épouse de Fourniret) ont permis de sortir des éléments qui n’étaient pas dans le dossier. »
Quatre ans plus tôt avait eu lieu l’un des pires cataclysmes des temps modernes. Le 26 décembre 2004, un tsunami provoquait 220 000 morts. Des victimes françaises se regroupent en association et confient la défense de leurs intérêts à l’avocat d’ACG : « C’était un combat passionnant, très différent des précédents, tout le travail portait sur la notion d’homicides et blessures involontaires. »
Depuis le tsunami, ACG est une référence dans les dossiers de catastrophe
Chemla va en Thaïlande. Dans l’un des hôtels où avait séjourné deux de ses clients qui avaient perdu trois de leurs enfants, il découvre les fresques murales du livre de la jungle dans le babyclub de l’hôtel dévasté. « C’était très projectif, très marquant… » L’enquête lui fait rencontrer le responsable local de la météo. « En 1998, il avait dit : « Attention, il y a eu un tremblement de terre, il y aura un jour un tsunami sur cette côte-là » Il avait été viré. Deux jours après le tsunami, il a été nommé vice-ministre, chargé de la prévention des catastrophes naturelles. » Si l’instruction n’aboutit pas au résultat espéré, voilà ACG devenu une référence dans les dossiers de catastrophes.
Parmi ceux-ci, plusieurs crashs aériens : celui du Air France Rio-Paris (2009), du Ouagadougou-
Alger d’Air Algérie (2014) ou encore le Paris-Le Caire d’Egypt Air (2016). « Globalement, on est intervenant dans tous les dossiers de ce type, résume l’avocat. On ne défend pas que des victimes françaises. » Les accidents ferroviaires, aussi, comme les déraillements survenus à Eckwersheim (2015) et Brétigny-sur-Orge (2013). « Ma particularité, c’est que je suis un pénaliste. Je ne conçois pas ces dossiers autour de la seule question de l’indemnisation. Ce que je propose aux victimes, c’est de faire ce marathon pour parvenir à faire mettre en examen, juger et arriver jusqu’à la vérité. » La Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac), qui fédère les associations nées de ces drames, demeure l’interlocuteur principal d’ACG. « Nous ne sommes pas leurs seuls avocats mais je constate
qu’on tient la distance. »
« Finalement, nous, on a la chance d’agir, de faire quelque chose »
En 2013, la Fenvac absorbe l’association SOS attentats, en train de se dissoudre. Et les attentats de 2015 sont arrivés. ACG, qui n’était pas le premier choix, finit par devenir comme « un partenaire crédible sur le plan pénal ». Huit avocats et une juriste du cabinet sont aujourd’hui dédiés à ces dossiers XXL – près de 300 000 pages sont déjà compilées dans l’instruction des attentats du 13 novembre 2015. Le cabinet ouvre une permanence à Paris. « En 2016, entre les victimes des attentats de Paris, de Nice, du musée du Bardo, de Ouagadougou, j’ai dû recevoir avec Pauline Manesse (avocate d’ACG, qui est également sa Compagne) 500 personnes,. Il y a eu un gros travail d’écoute. »
Un exercice éprouvant. « Quand on écoute une mère parler de sa fille unique décédée dans de telles circonstances… » L’avocat marque un temps. « C’est un travail qui est humainement douloureux. L’année 2016 a été très difficile. On devait organiser une aide psychologique pour les gens de l’équipe mais je n’en ai pas eu le temps. Après, sur ces dossiers-là, il y a aussi une sensation de devoir. En tant que citoyen, qu’est-ce qu’on peut face à ça ? Finalement, nous, on a la chance d’agir, de faire quelque chose. Ce qui s’est passé depuis deux ans marque notre époque. »
Mathieu Livoreil
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