Une confirmation bienvenue de la Cour de Cassation sur la réparation en nature par l’auteur des dommages lui-même et sur l’atteinte à la destination de l’ouvrage convenue par les parties.
Cassation 3 Civ 16 janvier 2025 n° 23-17265 FS-B (Avocat aux conseils : Cabinet BORÉ, SALVE de BRUNETON et MÉGRET)
Décision cassée : Cour d’appel de Reims Ch. Civ 1ère section 28 février 2023 n°22/00566
Le cabinet d'avocats ACG & Associés est intervenue en demande dans ce contentieux, opposant un exploitant agricole, ayant commandé d’importants travaux de couverture d’un hangar en panneaux photovoltaïques, et le constructeur ayant mis en œuvre celle-ci, couverture qui s’est avérée fuyarde, et affectée de problèmes de condensation sous toiture.
Le constructeur s’est opposé à sa condamnation au remplacement complet, et a proposé une alternative, en l’occurrence la pose d’un kit d’étanchéité entre panneaux, solution que sa cliente a refusée.
La question se pose fréquemment de savoir si l’auteur d’un dommage de construction peut imposer sa propre réintervention, en nature, à la victime. Toutefois, le sujet remonte rarement jusqu’à la Cour de Cassation :
A l’issue d’un chantier de construction, lorsque des malfaçons sont observées, le maître d’ouvrage, mécontent, engage alors une procédure, qui débute par une Expertise judiciaire.
L’Expert judiciaire préconise des réparations, qui s’avèrent d’autant plus couteuses qu’elles sont le plus souvent chiffrées sur la base du devis d’un concurrent, lequel prend, tout à fait normalement, une marge commerciale, et applique la TVA.
Rappelons que pour un particulier, qui ne récupère pas la TVA, cela surenchérit encore le montant des reprises de 10 % (simples réparations) voire 20 % (si la réparation concourt par son ampleur à la production d’un ouvrage neuf, selon la doctrine fiscale).
La tentation est donc grande, pour l’entreprise incriminée, de proposer sa propre réintervention, ce qui peut, dans certains cas, aider au déblocage de la situation conflictuelle, en évitant une poursuite de la procédure à grands frais, et une aggravation dans le temps des désordres durant la procédure. Cette réintervention, librement consentie par les deux parties, est alors encadrée par un protocole transactionnel rédigé par les avocats respectifs.
Mais qu’en est-il si l’entreprise prétend imposer cette réintervention, en se prévalant notamment d’un droit à y procéder, faisant valoir d’une part l’existence d’une garantie de parfait achèvement, et d’autre part, la règle d’or dite de « la juste indemnisation du préjudice », qui consiste à réparer tout le préjudice, mais rien que le préjudice et ce « au plus juste » financièrement parlant.
Selon les termes du pourvoi (Auteur : Cabinet BORÉ, SALVE de BRUNETON et MÉGRET) « Il est admis qu’une réparation en nature ne saurait être imposée à la victime d’un dommage (v. en ce sens : Civ. 3e, 28 janvier 2014, pourvoi n° 12-22.091 ; Civ. 2e, 18 mars 2010, pourvoi n° 09-13.376 ; Civ. 3e, 28 septembre 2005, Bull. civ. III, no 180, pourvoi n° 04-14.586).
La Haute juridiction a ainsi jugé que « l’entrepreneur, responsable de désordres de construction, ne peut imposer à la victime la réparation en nature du préjudice subi par celle-ci » (Civ. 3e, 28 septembre 2005, précité) »
Au cas présent, le constructeur se prévalait d’une proposition, émise en cours d’expertise, de réparation en nature de la couverture photovoltaïque, mais invalidée par l’Expert Judiciaire faute d’avis technique, et aussi en ce qu’elle ne traitait, en toute hypothèse, qu’une partie des désordres, à savoir les infiltrations, et non la présence de condensation sous toiture.
Le maître d’ouvrage s’y opposait, déjà pour cette raison, mais aussi parce que l’entreprise n’établissait pas bénéficier d’une garantie décennale pour mettre en œuvre ce procédé, et qu’en tout état de cause, la proposition, à la supposer crédible techniquement, aurait pu être, de bonne foi, mise en œuvre dès l’apparition des désordres, et avant toute procédure.
Comme le soulignait le pourvoi, expliquant la réticence de la victime : « quelle garantie présentait un constructeur qui avait procédé à la réalisation d’un ouvrage affecté de nombreux désordres et qui s’était ensuite opposé à la réparation de ces désordres ? »
La victime faisait donc valoir la perte de confiance induite par ces deux dernières circonstances.
La Cour d’Appel avait néanmoins limité la condamnation de l’entreprise à la mise en œuvre de son kit de réparation, jugeant que « la réparation du dommage n’est pas assurée par l’allocation d’une somme destinée à indemniser le coût des travaux de réfection (remplacement intégral du système) mais s’opère par équivalence, soit la fourniture et la pose d’un kit, cette prestation étant assurée par une autre entreprise que la société H… »
La Cour d’appel puisait cette motivation dans son pouvoir souverain d’appréciation.
En effet, la Cour de cassation juge, par ailleurs, que le choix des modalités de réparation d’un dommage relève du pouvoir souverain des juges du fond (Civ. 3e, 10 janvier 1990, Bull. civ. III, n° 6 ; Civ. 2e, 11 octobre 1989, Bull. civ. II, n° 177 ; Com., 5 juillet 1984, Bull. civ. IV, n° 219 ; Civ. 2e, 11 juillet 1988, pourvoi n° 87-12.884 ; Civ. 1re, 18 décembre 1990, Bull. civ. I, n° 298 ; Civ. 2e, 21 mai 1997, Bull. civ. II, n° 151 ; Civ. 3e, 24 janvier 2001, pourvoi n° 98-19.969 ; Soc., 13 mars 2001, pourvoi n° 99-40.114).
La Cour de cassation a néanmoins censuré la motivation de la Cour d’appel, en estimant que « En statuant ainsi, alors que la société L..D… s’était opposée à la réparation en nature par la société H…, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Ce faisant, en ces termes généraux, elle consolide une restriction au pouvoir souverain du Juge, qui ne peut passer outre le droit de la victime à s’opposer à la réintervention de l’auteur de son dommage.
Signalons par ailleurs que la Cour de cassation a également précisé un autre point, tout aussi important, qui était l’atteinte portée à la destination de l’ouvrage telle que « convenue » par les parties :
En règle générale, l’atteinte à la destination de l’ouvrage, qui est sanctionnée au termes de l’article 1792 du code civil, est l’atteinte à la destination « objective » de l’ouvrage : ainsi, une toiture doit assurer le clos et le couvert du bâtiment, un mur de soutènement doit soutenir les terres etc…
Mais qu’en est-il si l’atteinte porte sur une qualité qui n’est pas intrinsèque à la nature même de l’ouvrage, mais qui a été spécifiquement convenue, ou portée à la connaissance du constructeur ?
Plusieurs décisions, relativement rares mais constantes, admettent que la destination convenue, non atteinte, peut engager la responsabilité décennale.
Au cas présent, la Cour de Cassation a censuré l’arrêt d’appel, ayant jugé que la condensation, présente sous la toiture d’un bâtiment agricole, ne portait pas atteinte à son usage, en retenant que « En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la condensation affectant la toiture d’un bâtiment affecté au stockage de grains ne rendait pas l’ouvrage impropre à sa destination, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
Il est précisé qu’au cas présent l’usage « convenu » était mentionné au permis de construire du bâtiment, étant rappelé que toute entreprise a l’obligation de construire conformément à l’autorisation d’urbanisme obtenue (Cour de cassation, Chambre civile 3, 6 novembre 2013, 12-18.844, Publié au bulletin)
Me Véronique BEAUJARD, ACG & Associés
Avocat au Barreau de Reims, spécialiste en Droit Immobilier – Construction.
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La responsabilité du constructeur suppose un désordre.
Il est d’usage de dire que l’entrepreneur est tenu d’une obligation de résultat.
Le résultat que l’on attend est un ouvrage conforme aux règles de l’art :
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