Transmission des baux ruraux de l'exploitant agricole en liquidation judiciaire, la fin de la priorité au repreneur désigné par le bailleur !
Depuis toujours, en cas de pluralité de baux, lorsque l’exploitant agricole était en liquidation judiciaire, la reprise des baux était fixée en priorité au preneur proposé par le ou les bailleurs.
L’article L. 642-1 al 3 du code de commerce dispose que :
« Lorsqu'un ensemble est essentiellement constitué du droit à un bail rural, le tribunal peut, sous réserve des droits à indemnité du preneur sortant et nonobstant les autres dispositions du statut du fermage, soit autoriser le bailleur, son conjoint ou l'un de ses descendants à reprendre le fonds pour l'exploiter, soit attribuer le bail rural à un autre preneur proposé par le bailleur ou, à défaut, à tout repreneur dont l'offre a été recueillie dans les conditions fixées aux articles L. 642-2, L. 642-4 et L. 642-5. Les dispositions relatives au contrôle des structures des exploitations agricoles ne sont pas applicables. Toutefois, lorsque plusieurs offres ont été recueillies, le tribunal tient compte des priorités du schéma directeur régional des exploitations agricoles mentionné à l'article L. 312-1 du code rural et de la pêche maritime ».
Un arrêt récent rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 23 octobre 2024 apporte une interprétation totalement nouvelle de cet article (Cass. com., 23 oct. 2024, n° 23-50.013, n° 584 FS-B).
Les modalités selon lesquelles le tribunal peut imposer la transmission du bail sont complexes.
Le bailleur peut d’abord faire obstacle à la cession en reprenant son fonds pour l’exploiter par lui-même ou par son conjoint ou l’un de ses descendants.
Ensuite, il peut présenter au tribunal un preneur de son choix, lequel s’impose au tribunal qui doit attribuer le bail à ce preneur désigné par le bailleur.
Enfin, si le bailleur ne s’est pas manifesté de l’une des deux manières qui précèdent, le tribunal peut attribuer le bail à un repreneur qu’il désigne parmi ceux qui auront déposé une offre dans les conditions fixées aux articles L. 642-2, L. 642-4 et L. 642-5 du code de commerce.
Dans le cas d’une pluralité de baux, l’article L. 642-1 alinéa 3 était interprété comme instaurant une priorité au bénéfice du preneur choisi par le bailleur sur le repreneur ayant déposé une offre de reprise au tribunal de la procédure collective.
L’arrêt que nous venons de citer revient radicalement sur cette solution.
En l’espèce, une EARL mettait en valeur une exploitation agricole céréalière familiale de 108 hectares, essentiellement composée d’une vingtaine de baux.
Après résolution du plan de redressement dont elle avait bénéficié et autorisation de poursuite de l’activité, le liquidateur a reçu deux offres de reprise, dont l’une émanant d’une SCEA. Le tribunal judiciaire a ordonné la cession des éléments corporels et incorporels du fonds de l’EARL à cette SCEA, et lui a attribué les baux ruraux.
Sur appel d’un certain nombre de propriétaires bailleurs d’une vingtaine d’hectares et d’une EARL qu’ils avaient eux-mêmes proposée pour reprendre leurs baux, la cour d'appel de Poitiers a infirmé le jugement déféré et dit que les baux litigieux seraient attribués à l’EARL désignée par eux.
Le procureur général forme le pourvoi.
La Cour de Cassation juge que lorsque l’exploitation agricole est un ensemble essentiellement constitué d’un droit à un bail rural ou d’une pluralité de droits au bail consentis par un seul ou plusieurs propriétaires, le tribunal attribue ces baux soit au preneur unique proposé par le ou les bailleurs, soit au repreneur ayant déposé une offre dans les conditions des articles L. 642-2, L. 642-4 et L. 642-5 du code de commerce, en appréciant laquelle de ces alternatives est la mieux à même de satisfaire les objectifs énoncés à l’article L. 642-1 alinéa 1er du même code.
Désormais, en cas de pluralité de baux le tribunal dispose du pouvoir d’arbitrer entre une attribution :
- au preneur proposé par le ou tous les bailleurs
- au repreneur ayant déposé une offre auprès du tribunal de la procédure collective.
Dans ce dernier cas, les critères d’attribution sont le maintien d'activités susceptibles d'exploitation autonome, de tout ou partie des emplois et d'apurement du passif.
En revanche, lorsque l’ensemble est constitué d’un bail unique, la priorité est maintenue au profit du preneur désigné par le bailleur.
A l’encontre du principe d’intuitu personae qui guide la conclusion d’un bail rural, la Cour a voulu réaffirmer le contrôle judiciaire des reprises d’exploitations agricoles en péril.
La Cour de cassation a décidé de préserver l’unicité des exploitations agricoles, assurant ainsi un garde-fou auprès de bailleurs qui pourraient être démarchés directement et faire le choix d’un candidat qui échapperait à la prise en compte des priorités fixées par le schéma directeur régional des exploitations agricoles.
Perrine FOURTINES ROCHET
Avocat associé, Droit rural
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