L'évolution législative des avantages aux professionnels de santé : la nouvelle loi anti-cadeaux

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Depuis la première loi régissant les avantages octroyés aux professionnels de santé en 1993, le cadre législatif a connu des ajustements significatifs. La réforme du 1er octobre 2020, introduite par l'ordonnance du 19 janvier 2017, a amorcé un tournant majeur dans la régulation de ce domaine, en étendant le champ d'application de la loi et en introduisant des sanctions plus sévères pour les professionnels du secteur.

Cette réforme visait à remédier aux lacunes constatées dans l'application de la législation antérieure et de renforcer la transparence et l'intégrité des relations entre les professionnels de santé et les entités produisant ou commercialisant des produits pris en charge par la Sécurité sociale.

La loi s’applique désormais à l'ensemble des professionnels de santé intervenant dans la production ou la commercialisation de produits remboursés par la Sécurité sociale. De plus, elle a étendu la liste des bénéficiaires de cadeaux, incluant des acteurs tels que les ostéopathes, les chiropracteurs, les étudiants en formation initiale, les sociétés savantes, ainsi que les fonctionnaires et agents de l'État impliqués dans les politiques de santé ou de sécurité sociale.

En outre, la réforme a renforcé les sanctions pénales applicables aux personnes physiques et morales en cas de non-conformité, comme en témoignent des décisions judiciaires récentes telles que la condamnation des laboratoires Urgo en janvier 2023 à une amende de 1,125 million d’euros ainsi qu’à des saisies pénales de plus de 5,4 millions d’euros pour « manquement massif » à la loi anti-cadeaux.

Entre 2015 et 2021, les laboratoires Urgo ont accordé près de 55 millions d’euros de cadeaux à des pharmaciens, en contrepartie de l’abandon de remises commerciales. Les investigations ont établi « l’existence d’un système consistant in fine en la remise d’objets de valeur ou de loisirs à certains pharmaciens, en contrepartie de l’abandon de remises commerciales pouvant être consenties à leurs officines » indiquait le Parquet de Dijon en janvier dernier.

  1. Le nouveau champ d’application de la loi

Les catégories de personnes soumises à l'interdiction de recevoir de tels avantages sont rigoureusement définies, englobant non seulement les professions à ordre, mais également des métiers sans ordre spécifique.

Les professions à ordre, comprenant des acteurs cruciaux du domaine médical tels que les médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, et pédicures-podologues, sont directement impactées par cette législation.

Elle s'étend également à des professionnels sans ordre, parmi lesquels on compte les préparateurs en pharmacie, les orthophonistes, les techniciens de laboratoire médical, les audioprothésistes, les opticiens, les diététiciens, les aides-soignants.

Les chiropracteurs, ostéopathes, psychothérapeutes, ainsi que les étudiants en formation initiale se destinant à l'une des professions de santé ou aux professions d'ostéopathe, de chiropracteur, ou de psychothérapeute, sont également concernés par cette régulation.

De même, les personnes en formation continue ou suivant une action de développement professionnel continu (DPC), ainsi que les fonctionnaires et agents publics participant à l'élaboration de politiques publiques en santé ou de sécurité sociale, sont inclus dans le champ d'application de la loi.

Surtout, c’est maintenant toute société qui détient un produit remboursable dans son portefeuille qui se retrouve soumise aux obligations de la loi anti-cadeaux, même si ses relations avec les professionnels de santé ne concernent que des produits non-remboursables.

En résumé, la loi s'applique à toute personne, physique ou morale, produisant ou commercialisant des produits de santé, qu'ils soient ou non remboursables, et assurant des prestations de santé faisant l'objet d'une prise en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale.

Seuls quelques produits spécifiques, tels que les lentilles oculaires non correctrices, les produits cosmétiques, et les produits de tatouage, échappent à cette réglementation.

La loi anti-cadeaux s’applique dès lors que les personnes visées exercent leur profession en France.

Cependant, cette réglementation exclut explicitement les personnes exerçant leur profession à l'étranger, établissant ainsi le principe de territorialité qui s'applique également à la personne bénéficiaire de l'avantage.

Ainsi, une entreprise basée à l'étranger ne peut fournir un avantage à un professionnel de santé exerçant en France sans enfreindre la loi en vigueur.

  1. Le principe d’interdiction général des avantages

L'article L.1453-3 du Code de la Santé Publique (CSP) tel que modifié par la réforme, instaure une double interdiction.

  • Les acteurs du secteur de la santé, se voient explicitement interdire la réception d'avantages en espèces ou en nature, de manière directe ou indirecte, proposés ou procurés par les "entreprises" visées par ladite disposition.

  • Les entreprises visées par cette législation, celles qui produisent ou commercialisent des produits faisant l'objet d'une prise en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale,  se voient imposer une interdiction formelle d'offrir ou de promettre des avantages en espèces ou en nature, sous quelque forme que ce soit, de manière directe ou indirecte, aux acteurs de santé.

Il est essentiel de souligner que cette interdiction ne se limite pas exclusivement aux avantages en espèces, mais englobe également les avantages en nature.

  1. L’encadrement législatif des exceptions à la loi anti-cadeaux

La loi anti-cadeaux, bien que rigoureuse dans son principe d'interdiction des avantages susceptibles d'influencer les acteurs de santé, prévoit des exceptions clairement définies, autorisant certains avantages sous réserve de conditions spécifiques.

Ces exceptions, réparties entre avantages autorisés sans autorisation ou déclaration préalable (art. L. 1453-6) et avantages autorisés avec autorisation ou déclaration préalable (art. L. 1453-7), visent à concilier les relations professionnelles tout en garantissant la transparence et l'éthique du secteur de la santé.

  1. Les avantages autorisés sans autorisation ou déclaration (Art. L. 1453-6) :

Ces « avantages » ne sont pas considérés comme tels au regard de la loi : ils ne sont donc pas contrôlés au préalable mais devront être déclarés par l'offrant sur le site de Transparence-Santé.

  • La rémunération, l'indemnisation et le défraiement d'activité prévus par un contrat de travail ou un contrat d'exercice, dès lors que ce contrat a pour objet l'exercice direct et exclusif d'une profession de santé ;
  • Les royalties, soit les produits de l'exploitation ou de la cession des droits de propriété intellectuelle relatifs à un produit de santé (brevets, CCP, marques...) ;
  • Les avantages commerciaux offerts dans le cadre des conventions qui ont pour objet l'achat de biens ou de services à usage professionnel par les professions de santé auprès des entreprises concernées, ainsi que les avantages, remises et ristournes consentis aux pharmacies d'officine dans le cadre de la coopération commerciale ;
  • Les avantages (en espèces ou en nature) relatifs à l'exercice de la profession et d'une valeur négligeable (montants prévus par l’arrêté du 7 janvier 2020) :

Avantages exclus du dispositif

Seuils et fréquences

Repas et collation à caractère impromptu ayant trait à la profession du bénéficiaire

30 € dans la limite de deux par année civile

Livre, ouvrage ou revue, y compris abonnement, relatif à l'exercice de la profession du bénéficiaire

30 € par livre, ouvrage ou revue, y compris abonnement dans la limite totale, incluant les abonnements, de 150 € par année civile

Échantillon de produits de santé à finalité sanitaire ou exemplaire de démonstration

20 € dans limite de trois par année civile

Fournitures de bureaux

  1. € au total par année civile

  • Au-delà de ces seuils, ils sont considérés comme interdits au sens de l’article L1453-3 du CSP.

  • Les avantages non listés par cet arrêté et sans lien avec l'exercice de la profession du bénéficiaire sont interdits quel que soit leur montant (exemple : bouteille de vin, chocolats, etc.)

  1. Avantages autorisés avec autorisation ou déclaration préalable (Art. L. 1453-7) :

Ces avantages, bien que soumis à des seuils, nécessitent une procédure particulière selon leur montant. S’ils sont en dessous des seuils prévus par l’arrêté du 7 janvier 2020 (voir tableau ci-dessous), les avantages sont soumis à la déclaration préalable ; s’ils sont au-dessus, c’est le régime de l’autorisation préalable qui s’applique.

  • Rémunérations, indemnisations ou défraiement d’activités de recherche, de valorisation de la recherche, d’évaluation scientifique, de conseil ou de promotion commerciale :
      • Sous condition de rémunération proportionnelle au service rendu et obtention de l’autorisation préalable de cumul d’activité (pour les PU-PH et PH) ;
      • Les défraiements doivent correspondre au remboursement strict et sur justificatif de dépenses.
  • Dons et libéralités, en espèces ou en nature : sous conditions de financement exclusif d’activités de recherche, de valorisation de la recherche ou d'évaluation scientifique.
  • Hospitalité offerte, de manière directe ou indirecte, lors de manifestations à caractère exclusivement professionnel ou scientifique, ou lors de manifestations de promotion des produits ou prestations :
      • Sous condition de stricte limitation à l’objet principal de la manifestation et d’un niveau raisonnable.
      • Aucune exception pour l’hospitalité directe ou indirecte (ex. : via une association d’étudiants) pour les étudiants : elle est interdite pour les étudiants depuis le 27 juillet 2019.
  • Le financement ou la participation au financement d'actions de formation professionnelle ou de développement professionnel continu.
  • Dons et libéralités : aux associations qui regroupent des professionnels de santé ou des étudiants soumis à la loi anti-cadeaux ; aux associations intervenant dans le champ de la formation de ces personnes ; aux sociétés savantes, sous condition que l’objet de l’association soit en rapport avec l’activité professionnelle de ses membres.
      • Par exemple, une association de professionnels de santé à vocation sportive ne peut pas recevoir de dons.
      • Interdiction de versement de dons aux associations d’étudiants pour financer indirectement de l’hospitalité aux étudiants.

 

Professionnels

Etudiants

Associations

Rémunération liée à une activité (recherche, conseil, service ou promotion commerciale)

200 € par heure, dans la limite de 800 € par demi-journée et de 2 000 € pour l'ensemble de la convention

80 € par heure, dans la limite de 320 € par demi-journée et de 800 € pour l'ensemble de la convention

200 € par heure, dans la limite de 800 € par demi-journée et de 2 000 € pour l'ensemble de la convention

Dons pour la recherche (montant pour l'ensemble de la convention)

5 000 €

1 000 €

8 000 €
10 000 € lorsque le bénéficiaire est une association déclarée d'utilité publique
1 000 € pour des dons et libéralités destinés à une autre finalité en lien avec la santé

Hospitalité offerte lors d'évènements professionnels

150 € par nuitée
50 € par repas
15 € par collation
2 000 pour l'ensemble de la convention

N/A

N/A

Le financement d'actions de formation professionnelle ou de développement professionnel continu

1 000 € pour l'ensemble de la convention

N/A

N/A

  1. Les sanctions prévues par la loi

Les sanctions afférentes aux violations de la loi anti-cadeaux sont définies par les dispositions légales contenues aux articles L. 1454-7 et L. 1454-8 du Code de la Santé Publique, instaurant des mesures coercitives pour prévenir et réprimer les pratiques non conformes.

Au niveau pénal (articles L. 1454-7 et L. 1454-8 du code de la santé publique) :

    • Jusqu'à 2 ans d'emprisonnement et une amende pouvant atteindre 150 000 € pour les individus ayant accordé un avantage. Il convient de noter que le montant de l'amende peut être porté à 50 % des dépenses engagées dans la pratique constituant l'infraction.
    • Jusqu'à un an d'emprisonnement et une amende maximale de 75 000 € pour les individus ayant bénéficié d'un avantage indu.

Au niveau des peines complémentaires (article L. 1454-4 du Code de la Santé Publique), les personnes physiques coupables d'infractions peuvent se voir infliger des peines complémentaires telles que l'affichage de la décision, l'interdiction de gérer, la confiscation, et l'interdiction des droits civiques.

Des sanctions additionnelles ont été introduites depuis la réforme : il est désormais possible d’infliger une interdiction temporaire ou définitive d'exercer une ou plusieurs professions de santé réglementées, une profession commerciale ou industrielle, ainsi que la direction, l'administration, la gestion, ou le contrôle, d'une entreprise commerciale ou industrielle ou d'une société commerciale, que ce soit à titre individuel ou au nom d'autrui.

En plus de ces sanctions judiciaires, des sanctions disciplinaires pour professions à ordre sont également à craindre. Les professionnels de santé relevant d'un ordre sont soumis à des normes déontologiques strictes. Le fait de recevoir un avantage indu est considéré comme une violation de ces normes, pouvant entraîner des sanctions disciplinaires prononcées par les organes disciplinaires compétents

Outre ces sanctions, les risques réputationnels sont également à craindre. En effet, les procès-verbaux établis par les agents de contrôle compétents, tels que les Officiers de Police Judiciaire et les agents de la DGCCRF, sont transmis aux Ordres professionnels (ou aux autorités compétentes selon les cas). Cette transmission permet la saisine éventuelle des organes disciplinaires compétents, indépendamment des sanctions pénales potentielles.

  1. Les suites de l’affaires Urgo

Après le retentissement de la condamnation des laboratoires Urgo, les autorités estiment qu’environ 8.000 pharmaciens (soit près de 40% de la profession) ont accepté des cadeaux de la part des Laboratoires Urgo en échange d'abandon de remises sur leurs produits. 

Ces pharmaciens doivent aujourd’hui répondre de leurs actes et justifier de l’emploi de ces cadeaux au sein de leur officine. Si une condamnation est à craindre pour certains d’entre eux, le montant de celle-ci devrait être limité.

L’amende et les saisies représentent à peine 12% du total des avantages accordés par Urgo, il serait difficile de justifier une telle différence de traitement en mettant à la charge des pharmaciens le montant total des avantages. Mais les professionnels doivent se méfier des peines complémentaires pouvant être infligées aux personnes physiques, comme l’interdiction temporaire d’exercer une profession de santé ou bien une interdiction de gérer.

De la même façon, l’attribution des produits n’est jamais intervenue de manière gratuite (les produits étaient attribués moyennant renonciation à une remise commerciale au cours de la première période ; ils étaient ensuite facturés à la pharmacie à un montant correspondant à leur valeur commerciale, au cours de la seconde période), il serait inadéquat de fixer le montant de la condamnation sur la base du montant des produits accordés.

Enfin, les sanctions devraient être limitées en raison la gravité minime de l’atteinte à l’ordre public, ce qu’a admis le procureur de Dijon, aucune victime n’étant à déplorer et personne ne s’étant de surcroît constitué partie civile.

Gérard CHEMLA, avocat rémois réputé en matière pénale des victimes
Gérard CHEMLA
Avocat associé
Photo
Elsa FAUBERT VAHRAMIAN
Avocat

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