Quelles réponses face au harcèlement scolaire ?

Publié le 28 novembre 2023

Le harcèlement scolaire est aujourd’hui devenu un problème sociétal profondément enraciné dans la société. En France, on estime que 800 000 à un million d'élèves, soit entre 6 à 10 % d'entre eux, sont victimes de harcèlement chaque année. Ces chiffres, déjà préoccupants, ne sont qu’une partie d’un phénomène mondial, l'UNESCO évaluant à 246 millions le nombre d'enfants touchés par le harcèlement en 2017. 

Le constat ne s'améliore guère lorsqu'on examine l'ampleur du harcèlement en ligne. Un sondage de l'UNICEF réalisé en 2019 dans 30 pays révèle qu'un jeune sur trois déclare avoir été victime de harcèlement en ligne, tandis qu'un sur cinq confesse avoir évité l'école en raison du cyberharcèlement.  

En France, la réalité du harcèlement scolaire se manifeste de manière poignante dans les récents événements de septembre 2023.  

Le suicide de Nicolas, âgé de 15 ans à Poissy, a mis en lumière les lacunes du système éducatif face à la détresse de ses élèves. Les parents de Nicolas avaient alerté le rectorat de Versailles plusieurs mois avant la tragédie, ne recevant en retour qu'une réponse désinvolte les menaçant de dénonciation calomnieuse.  

Ce cas souligne la nécessité d'une réponse institutionnelle proactive et plus sensible face au harcèlement et au désarroi des jeunes victimes et de leurs parents. 

Le suicide de Lindsay, une jeune de 13 ans, en mai 2023 a été l'aboutissement tragique du harcèlement subi de la part de ses pairs. Quatre mineurs ont été mis en examen pour "harcèlement scolaire ayant conduit au suicide," et un majeur pour "menaces de mort." Cette affaire met en lumière la nécessité pressante de mesures juridiques et disciplinaires plus strictes pour prévenir les conséquences dramatiques du harcèlement. 

À l'heure où les réseaux sociaux et le cyberharcèlement engendré ont permis au harcèlement scolaire de dépasser les frontières des établissements scolaires, la question du harcèlement scolaire ne peut plus être reléguée aux marges de l'agenda social. Il est impératif pour chacun de connaître les différentes solutions qui existent pour lutter contre le fléau du harcèlement scolaire, qu’elles soient politiques, pénales, ou disciplinaires.  

Le harcèlement scolaire et les récents évènements ont généré une prise de conscience collective conduisant à des mesures politiques récentes.  

Parmi les réponses apportées, un programme de prévention du harcèlement a été instauré en 2021, déployant une stratégie complète dans les écoles, collèges, et lycées.  

Au cœur de cette initiative, un réseau de 400 référents académiques et départementaux, répartis à travers le pays, répond aux signalements de harcèlement via la plateforme du 3018.  

Des équipes de mobilisation des personnels éducatifs et des élèves, ainsi que des élèves ambassadeurs, sont désignées pour mettre en œuvre le protocole et dispenser une formation approfondie.  

Une plateforme digitale dédiée centralise les contenus éducatifs, facilitant le suivi des chefs d'établissement. De plus, des événements significatifs, tels que des journées et concours dédiés, sont organisés tout au long de l'année, insufflant une dynamique éducative contre le harcèlement. 

À ce jour, le programme a recueilli une adhésion significative, avec 86 % des collèges et 60 % des écoles inscrits au printemps 2023, un chiffre appelé à atteindre 100 % d'ici 2024. Cette démarche nationale reflète une réponse préventive et éducative majeure face à la réalité du harcèlement scolaire. 

Au plan juridique, la dimension pénale a été renforcée avec la loi du 26 juillet 2019, affirmant le droit pour chaque élève à une scolarité sans harcèlement. Ce droit fait peser une obligation de moyens sur les établissements et les centres régionaux universitaires, qui devront prendre des mesures pour prévenir et traiter les cas de harcèlement, et pour orienter les victimes, les auteurs ou les témoins vers des structures pouvant les accompagner (article L111-6 Code de l’éducation). 

La loi du 2 mars 2022 a introduit un nouvel article 222-33-2-3 dans le code pénal, créant un nouveau délit spécifique de harcèlement scolaire : « Constituent un harcèlement scolaire les faits de harcèlement moral définis aux quatre premiers alinéas de l'article 222-33-2-2 lorsqu'ils sont commis à l'encontre d'un élève par toute personne étudiant ou exerçant une activité professionnelle au sein du même établissement d'enseignement. (…) » 

Le délit de harcèlement concerne les élèves, les étudiants, mais également les professeurs et les personnels des établissement scolaires. 

Les sanctions varient en fonction de l'âge des auteurs et des conséquences du harcèlement, pouvant s’élever jusqu’à 10 ans d'emprisonnement et 150 000 euros d’amende. 

L’infraction peut être caractérisée lorsque les faits se poursuivent alors que l'auteur ou la victime n'étudient plus ou n'exercent plus au sein de l'établissement.  

La loi prévoit également des mesures relatives au cyberharcèlement, en créant une obligation de lutte contre le harcèlement scolaire pour les hébergeurs et fournisseurs d’accès à internet, et en prévoyant que l’instrument ayant servi au harcèlement peut être confisqué (article 131-21 du Code pénal). 

Les récentes annonces gouvernementales en septembre 2023 illustrent une volonté d’agir à tous les niveaux. Le plan inter-ministériel de lutte contre le harcèlement scolaire prévoit notamment :  

  • La saisine systématique du procureur de la République en cas de signalement de cas de harcèlements (plateforme dédiée entre l’éducation nationale et la justice) ;  

  • La création du 3018, numéro unique de signalement – le 3020 (numéro actuel) sera dédié aux familles et victimes ;  

  • La mise en place de cours d’empathie dans le cursus scolaire à partir de la rentrée 2024 ;  

  • La formation renforcée des acteurs de la communauté éducative (des professeurs, mais également des éducateurs sportifs, animateur de colonie) d’ici à la fin du quinquennat ;  

  • L’augmentation du nombre de séances prises en charge par l’Assurance maladie ; 

  • La possibilité pour la justice de prononcer le bannissement des réseaux sociaux pendant 6 mois à 1 an sous forme de peine complémentaire en cas de condamnation. 

Sur le plan disciplinaire, des avancées significatives ont été réalisées par le décret du 17 août 2023.  

Le transfert d'un élève harceleur vers un autre établissement au primaire – jusque-là uniquement possible au secondaire, et la possibilité d'exclure un élève pendant 5 jours à titre conservatoire illustrent la volonté de mettre en place des mesures rapides et dissuasives. 

La procédure disciplinaire devient automatique en cas de harcèlement à l’encontre d’un autre élève, y compris lorsque ce dernier est scolarisé dans un autre établissement. 

La responsabilité de l'État, en cas d'inaction des personnels scolaires, peut être recherchée pour défaut d’organisation du service public de l’enseignement, sur le fondement des dispositions de l’article L. 911-4 du Code de l’éducation.  

C’est par exemple le cas lorsqu’au sein d’un établissement d’enseignement, aucun protocole de traitement des situations de harcèlement n’a été établi. 

La responsabilité de l’État peut également être engagée pour défaut de surveillance et de précaution des personnels scolaires, lorsque ceux-ci ont laissé un élève subir des violences physiques et morales sans agir (TGI Montpellier, 9 février 2011, TA Versailles, 26 janvier 2017, n° 1502910). 

Les parents des auteurs de harcèlement peuvent également être tenus responsables financièrement, du préjudice subi par les victimes, offrant une approche intégrée de la responsabilité. 

L’endiguement du harcèlement scolaire exige une approche multi-facettes, alliant prévention, répression et responsabilisation. Les progrès réalisés jusqu'à présent marquent une évolution significative, mais l'engagement sur le long terme de tous les acteurs de la société demeure essentiel pour créer des environnements éducatifs sains, respectueux et protecteurs. 

 

Gérard CHEMLA, avocat rémois réputé en matière pénale des victimes
Gérard CHEMLA
Avocat associé
Pauline MANESSE-CHEMLA, avocate pour les victimes
Pauline MANESSE-CHEMLA
Avocat associé
Elsa FAUBERT VAHRAMIAN
Avocat

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