Interview publiée dans "Reflets Actuels" n°77
Pour Gérard Chemla, aider les victimes est devenu une quasi-religion … La boulimie des affaires s’impose : « Je suis quelqu’un qui a faim. Je dévore … ». On entre dans les grosses affaires : les disparus de Mourmelon, Fourniret, Lambert, le Bataclan, le Cuba Libre, l’attentat du Bardot, les victimes du Tsunami… Entre autres. Et pourtant une faille persiste : « Je ne sais pas qui je suis ». Direction le divan de la psychanalyse. Entretien réalisé par Gérard Delenclos.
On est, dit-on, le produit de son passé. Commentaire ?
C’est pour moi une évidence. Je n’appartenais à aucun sérail. Je n’étais pas le fils de. En 1979, on ne m’a pas accueilli. Quelques années plus tard, je me suis imposé. Oui, j’ai eu un vrai désir de revanche, l’envie d’assouvir un besoin de justice et de défendre ceux qui réclament cette justice. J’ai eu beaucoup de mal à faire la paix avec mes blessure d’enfance. Le statut de l’avocat ramène à l’enfance. On est nu, sans arme, seul et avec l’envie de faire tout tourner autour de nous. Et je ne sais par quelle magie devenir fort. Le droit est devenu mon arme, sans effet de manche. Le droit est devenu mon mode d’intégration, ma façon de m’imposer.
Egocentrique ?
Plutôt égocentré. J’ai l’impression, dans tout ce que j’entreprends, que c’est ma peau que j’engage. Je ne sais pas perdre avec panache.
Cette boulimie de travail et d’affaires, un sacerdoce, la soif d’être reconnu ou un marketing nécessaire à toute entreprise ?
C’est un peu tout cela. J’adore faire du bien aux autres et j’adore qu’on le sache. Le plaisir de mon travail passe avant tout.
Défendre les victimes plutôt que les criminels … Pourquoi ce choix ?
Défendre les victimes fut d’abord un hasard. Et peut-être un échec, parce que défendre les criminels est plus porteur, médiatiquement. Ce hasard remonte à 1987, lorsque l’on m’a demandé de défendre les droits des familles des disparus de Mourmelon et que je me suis engagé dans cette cause, non sans avoir hésité. Quand Chanal arrive à Châlons-en-Champagne, en 1993, je reste sur ma position. Je deviens alors l’avocat des victimes.
Auriez-vous pu défendre l’Adjudant Chanal ? Seriez-vous capable de défendre Salah Abdeslam ?
Non ! J’ai choisi le chemin des victimes et ce n’est pas plus simple pour un avocat. Peut-être me suis-je privé d’une belle vitrine ? La partie civile a dans un procès un rôle de premier plan. C’est à cela que je m’attache aujourd’hui. J’ai réussi à amener Chanal à la barre du tribunal. Cela a été comme une première victoire. On connaît la suite : un procès qui n’a duré qu’un jour.
J’ai longtemps pensé qu’un avocat ne choisissait pas son camp mais qu’il était choisi par ses clients. Depuis, j’ai évolué. J’ai choisi mon camp, celui des victimes. C’est un engagement de ma part. Partie civile, je ne hurle pas aux loups, je ne demande pas de sang. Je n’ai pas envie de verser dans le populisme.
Je me suis intéressé à Salah Abdeslam, parce qu’il présente un profil réel de tueur en série. Fourniret a eu le même comportement : rendre responsable la justice du fait qu’il collabore ou non à l’enquête. Pour Salah Abdeslam, la justice le maltraite. La faute retombe sur les juges.
Les victimes, un choix obsessionnel qui vire à la création d’une association de défense des victimes (Victimes En Série). Un avocat peut-il sans risque prendre ce genre de chemin ?
Je n’ai rien à faire de ce qui se fait ou ne se fait pas. Dans ce cas, il ne s’agit pas de déontologie. J’ai toujours agi en mon âme et conscience. La problématique était, à l’époque, l’entrée dans le droit de la notion de tueurs en série. Il s’agissait de faire s’entraider les victimes. Les premiers membres furent des parents des victimes de Chanal et de Fourniret.
Le besoin d’exister, une vocation, une thérapie ? Cette exposition médiatique est-elle nécessaire au bon déroulement de la justice ? Qui manipule l’autre ?
Je ne suis jamais allé chercher un journaliste. Dans cet exercice, j’ai toujours peur du regard de mes clients. Peur que l’on pense que je réserve mon temps exclusivement aux gros dossiers. Je ne m’exprime jamais au nom de la justice. Ce n’est pas ma problématique. J’y vais quand j’ai des choses à dire et jamais par envie de m’exposer. Qui manipule l’autre ? Nous dansons ensemble. Une seule fois dans ma carrière, je me suis fait avoir par un journaliste de Paris Match, dans l’affaire de Mourmelon. Dure leçon. Hors cette aventure, mes relations avec les journalistes sont sereines.
Le Bardo, le Bataclan, Nice, et l’intérêt porté à Salah Abdeslam … Réflexion sur justice et terrorisme ? Le terrorisme, une bonne affaire pour les avocats ?
Les attentats de ces derniers mois m’ont énormément touché. J’ai commencé à dire mon ressenti, dès le début de 2015, sur mon blog. Le terrorisme kamikaze m’est apparu effrayant. Qu’est-ce que je pouvais faire ? Dire des choses, me battre avec les mots de mes idées. Peut-être pour conjurer ma peur et celle des autres. Réveiller les consciences sans basculer dans l’islamophobie.
Je ne peux pas laisser dire que le terrorisme est une bonne affaire pour les avocats, mais je ne peux pas non plus laisser tomber les victimes d’attentats qui font appel à moi.
Un cabinet d’avocats qui met en place un numéro vert à la disposition des victimes … C’est le rôle d’un avocat ? Encore une fois, de l’empathie ou des prospects en puissance ?
C’est du marketing. J’ai toujours voulu m’affranchir de règles que je considère obsolètes. Je crains le champ de ruines dans la profession d’avocat. Les cabinets moribonds existent hélas. Quel avenir pour eux ? Cette orientation vers les victimes impose ce numéro vert. J’ai besoin que le public des victimes nous identifie ainsi.
On est aussi, dit-on, le produit de son futur. Quel futur vous souhaitez-vous personnellement et pour votre profession ?
Je vais essayer d’être un peu plus heureux. Vivre des choses d’homme, hors d’un combat permanent. Vivre aussi, un peu plus pour ma famille. Aujourd’hui, je suis trop dans la douleur permanente des autres. J’espère aussi, au fil du temps, ne pas me décatir à la barre.
L’avenir de la profession ? Je trouve qu’il serait bien que d’autres fassent le choix que j’ai fait. Je souhaite à ma profession des structures assises sur des compétences et des outils performants. Avec ce bagage, je lui souhaite la force d’exercer en toute liberté.
La fusion de tous les barreaux de la région m’apparaît comme une piste nécessaire. Il faut mettre fin aux villages gaulois. Je milite pour un ordre national garant de l’exercice d’une vraie profession.
Votre meilleure plaidoirie est-elle à venir ?
L’avantage d’une plaidoirie est dans l’éphémère … Dans l’instant du prétoire. Peu de gens pour l’entendre. De plus, je ne plaide pas beaucoup. Je ne suis pas dans l’obsession de la plaidoirie.
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