La Taqqiya ou l’art de la dissimulation dans le jihadisme

Publié le 08 septembre 2022
Taqqiya et Jihadisme

La Cour d’assises antiterroriste spécialement composée de magistrats professionnels juge en ce moment-même vingt individus accusés d’avoir participé aux attentats du 13 novembre : coordinateurs, membres de commandos, logisticiens…

Les débats qui ont lieu sur l’île de la cité, au sein du Palais de justice historique, dans une salle d’audience spécialement construite et aménagée en vue de ce procès, ont à plusieurs reprises fait référence à la Taqqiya.

La Taqqiya dans le jihadisme

La Taqqiya est un concept lié à l’Islam de dissimulation de sa croyance face à un risque de persécution. C’est une sorte de méthode de défense : ne pas avouer ce qu’on pense et cacher avec soin ce qu’on croit. Largement reprise et dévoyée dans le cadre du jihadisme, la Taqqiya est devenue une technique de dissimulation des combattants du jihad armé en Occident.

Cette technique de dissimulation et d’infiltration n’est pas nouvelle. Al Qaïda avait déjà publié à l’attention de ses troupes un manuel de 180 pages intitulé “Etudes militaires dans le djihad contre les tyrans”, dont un exemplaire a pu être retrouvé à Manchester, dans le cadre de l’enquête menée après les attentats de 1998 contre des ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, au domicile d’un membre du réseau d’Oussama BEN LADEN.

Ce manuel de la terreur, sorte de manuel pratique du terroriste, donne de précieux conseils pour une action clandestine : il préconise par exemple au combattant de l’ombre de s’établir dans un quartier neuf, où les voisins ne se connaissent pas, de ne pas porter de barbe ou de vêtements qui peuvent être identifiés comme islamiques… Ce premier manuel aurait été écrit par Ali Mohamed, proche d’Al Qaïda, ancien officier de l’armée égyptienne, expert en contre-terrorisme de la compagnie aérienne EgyptAir, qui est parvenu à infiltrer les forces spéciales de l’armée des Etats Unis.

Al Qaïda forme ses troupes aux techniques policières et militaires de filatures, contre-filatures, espionnage et contre-espionnage.

Les auteurs des attentats du 11 septembre 2001 s’en nourriront et passeront inaperçus…

Fort de ces conseils et formations, un jihadiste agent double parviendra à s’infiltrer jusqu’à une base militaire américaine de Chapman, située en Afghanistan, à proximité de la frontière avec le Pakistan, pour y commettre un attentat-suicide dans lequel plusieurs agents de la CIA, “probablement les meilleurs au monde dans ce qu’ils faisaient”, perdirent la vie en 2009.

Mohamed MERAH était entrainé et prenait toutes les précautions pour déjouer les filatures et repérer des éventuels micros. Interrogé en 2011 après plusieurs voyages au Proche-Orient, en Afghanistan et au Pakistan par les services de renseignement spécialisés, n’ayant pas changé d’apparence physique et continuant à fréquenter des boites de nuit, il parvient à donner le change prétextant un voyage touristique. Plus tard, en 2015, Brahim ABDESLAM et Mohamed ABRINI, de retour de Syrie, en feront de même face aux services de police belges et y parviendront également. Pour justifier des fins touristiques de son voyage en Angleterre, Mohamed ABRINI a pris le soin de revenir avec des photographies d’un Stade de football et des achats souvenirs, notamment une montre.

La Taqqiya des combattants de l’Etat Islamique

L’Etat Islamique a repris cet héritage et développé son propre service secret de contre-espionnage et d’infiltration : l’Amniyat.

Ce service a une compétence intérieure : détecter les espions en Irak et en Syrie ; mais aussi une mission extérieure : envoyer des agents en Europe pour recruter des candidats à l’attentat et des logisticiens capables de fournir armes et faux papiers pour aboutir à des attentats.

Pour mieux passer inaperçu, l’Etat Islamique conseille par exemple à ses troupes de :

• Prendre des vols aller et retour, et même des réservations d’hôtels dans des villes turques lorsqu’elles se rendent sur zone, bien qu’il s’agisse dans les faits d’aller sans retour ;

• Passer par des pays non suspects lors du retour de la zone syro-irakienne : ainsi Mehdi NEMMOUCHE passera par l’Asie pour retourner en Belgique en 2014, et Reda HAME, rejoindra la France en juin 2015 en passant par la Turquie, le Serbie, la République Tchèque, les Pays-Bas et la Belgique et sera finalement interpellé le 11 août suivant ;

Dans le véhicule de Sid-Ahmed GHLAM, interpellé alors qu’il s’apprêtait à s’attaquer à des Eglises de Villejuif le 19 avril 2015, les enquêteurs ont retrouvé un classeur vert comportant tous les éléments stratégiques de la dissimulation.

En parfait élève, Sid-Ahmed GHLAM avait pris manuscritement en notes tous les conseils de dissimulation et les avait regroupés dans un classeur .

Pour l’action terroriste, il était ainsi préconisé : « Pendant » faire attention aux cheveux, ne pas remonter la tête, ne pas cracher, ne rien toucher, changer la façon de marcher, garer la voiture loin dans le parking, mettre des gants, casquette, écharpe, garer la voiture au plus près de l’opération, s’habiller comme convenu.

Sid Ahmed GHLAM allait jusqu’à prévoir des vêtements serrés sous des vêtements amples, afin de retirer ces derniers à l’issue de son forfait pour changer d’aspect, ainsi que des paires de chaussures de tailles différentes, pour mieux brouiller les pistes.

Au printemps 2015, est publié sur internet un guide intitulé “How to survive in the west : a mujahid guide”, que l’on pourrait traduire par “Comment survivre en occident”, dont l’objectif est d’expliquer aux jihadistes comment échapper aux services de renseignement. Il est ainsi notamment conseillé de changer d’apparence : lentille de contact de couleur, fausses lunettes, fausse moustache, perruque, vêtements amples et vêtements moulants…

La cellule terroriste du 13 novembre reprendra ces conseils : Salah ABDESLAM, Ahmed DAHMANI, Mohamed BAKKALI, Khalid EL BAKRAOUI et Ibrahim EL BAKRAOUI se feront faire des fausses cartes d’identité sur lesquelles ils apparaissent grossièrement grimés et s’en serviront pour louer des logements conspiratifs.

Les terroristes envoyés par l’Etat Islamique au travers de l’Europe avaient pour consigne de ne montrer aucun signe extérieur de radicalisation. La différence d’apparence est flagrante lorsqu’on compare les images de propagande de l’Etat Islamique et les photographies prises dans les différents points de contrôle de la route des migrants. Abdelhamid ABAAOUD, par exemple, lorsqu’il est enregistré en Grèce, apparait cheveux courts, légèrement moustachu et vêtu d’une chemise.

De la même manière, le soir du 13 novembre 2015, les terroristes étaient rasés, cheveux courts, porteurs de baskets (les baskets de couleur orange d’Abdelhamid ABAAOUD ont été identifiées par les victimes des terrasses parisiennes, et reconnues sur les images de la RATP), et même de survêtements à l’effigie d’équipes de football (Abdelhamid ABAAOUD et les deux irakiens du Stade de France).

Ils étaient ainsi à l’opposé de l’image montrée dans le cadre de la propagande de l’Etat Islamique, et notamment dans la vidéo intitulée “Et tuez-les où que vous les rencontriez” diffusée en janvier 2016 visant à glorifier les attentats du 13 novembre et leurs auteurs, où ils apparaissent vêtus de treillis militaires, et arborent des cheveux longs et de longues barbes.

Les organisations jihadistes préconisent la Taqqiya dans la société civile, mais aussi et surtout devant les autorités policières, judiciaires et même pénitentiaires. Donner des informations, se repentir, présenter des excuses, ce n’est parfois qu’une stratégie… La Cour d’assises chargée de juger les individus impliqués dans les attentats du 13 novembre a ainsi fort à faire en examinant le niveau d’implication des accusés. Sur fond de Taqqiya, elle devra savoir discerner le vrai du faux.

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