Les meurtriers ont-ils droit à l'oubli ?

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Thème(s) : Droit des victimes

Article paru dans l'Union, le 19 mai 2009

Un homme, confondu par son ADN, est soupçonné des meurtres de quatre jeunes femmes dans les années 80 dans l’Essonne.

• La loi française prévoit un délai de prescription de dix ans en matière de meurtre. Autrement dit, la justice ne peut plus poursuivre l’assassin présumé.

• L’affaire d’Etampes relance le débat sur la prescription, qui avait déjà agité les familles de victimes lors de l’enquête sur Michel Fourniret ou Emile Louis.

• Plusieurs associations et un député demandent que les crimes soient imprescriptibles, compte tenu des progrès scientifiques qui permettent de débloquer certaines enquêtes parfois des décennies plus tard.

 

VINGT-NEUF ans après une série de quatre meurtres de jeunes femmes dans l’Essonne, une enquête connaît un incroyable rebondissement. Alors que la plupart des pièces à conviction ont disparu au fil des instructions, trois mouchoirs en papier, miraculeusement retrouvés par les enquêteurs du SRPJ de Versailles en 2008, ont permis d’identifier un suspect de 46 ans. L’homme, dont les traces ADN ont été découvertes sur des mouchoirs souillés de sperme, a néanmoins été libéré vendredi soir sur ordre du parquet. « Le fait que son ADN ait été retrouvé sur les lieux d’un crime ne constitue pas une preuve de son implication », a souligné Jean-François Pascal, le procureur de la République d’Evry.

Ces mouchoirs avaient été trouvés sous le corps de Pascale Lecam, 21 ans, assassinée près de la RN 20, dans le sud de l’Essonne, en août 1983. Entre le 11 mars 1980 et le 7 août 1983, trois femmes de 17 à 26 ans ont été étranglées et l’une pendue dans la région d’Étampes. Deux ont été tuées au même endroit : un château d’eau désaffecté au lieu-dit Mondésir.

Ni jugé, ni condamné. L’enquête a été reprise en 2006 par l’Office central pour la répression des violences aux personnes. Les policiers vont notamment travailler sur l’un des rares scellés qui avaient échappé à la destruction. En juillet 2008, l’ADN parle. Le fichier des empreintes génétiques — le FNAEG — révèle qu’il s’agit d’un individu mis en cause dans une affaire de violences. L’homme qui gravite dans le milieu des ferrailleurs, fréquentait au début des années quatre-vingt le Pub Saint-Germain, dernier endroit où Pascale Lecam avait été vue vivante.

Si l’homme devait être confondu dans les meurtres des quatre jeunes femmes, répondrait-il de ces crimes ? Et bien non puisque plus de dix ans écoulés depuis le dernier acte d’instruction. Même s’il avouait, l’homme ne pourrait être ni jugé, ni condamné. Du coup, comme lors des retentissantes affaires de crimes en série (Emile Louis, Fourniret...), le débat sur la durée de la prescription des meurtres rejaillit. Plusieurs parlementaires ont déposé des propositions de lois pour porter le délai à 30 ans, voire pour rendre imprescriptibles les crimes sexuels commis sur des mineurs.

 

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ILS ont craint, pendant des mois, que le meurtre de leur fille, Fabienne, une étudiante de 20 ans, soit oublié de la justice. Passé par pertes et profits. Colette et Jean-Pierre Leroy, enseignants à Saint-Erme (Aisne), aujourd'hui retraités dans les Ardennes, se sont battus pour que Michel Fourniret réponde de l'assassinat par arme à feu de Fabienne, retrouvée en août 1988 près du camp militaire de Mourmelon. Finalement, la famille Leroy a eu toute sa place, en mai 2007, sur les bancs des parties civiles, quand s'est ouvert le procès de Fourniret devant les assises des Ardennes.

Pendant des mois, rien n'était acquis malgré les aveux en 2004 de Michel Fourniret et de Monique Olivier. Le dernier acte d'enquête datait du 30 novembre 1992. Douze années. Un délai suffisant pour empêcher toute poursuite judiciaire, pour que Michel Fourniret s'en sorte blanc comme neige.

« C'était très dur à vivre. Nous entendre dire qu'il fallait circuler, qu'il n'y avait rien à voir malgré le récit circonstancié de Fourniret. C'est pourquoi cette affaire de la RN20 me fait réagir. J'ai vécu cette situation, je sais combien elle est insupportable », se souvient Jean-Pierre Leroy. Ses avocats, Mes Vincent Durtette et Gérard Chemla, obtiendront finalement de haute lutte que Fabienne soit intégrée aux huit autres meurtres du criminel ardennais. Ils ont saisi la Cour de cassation et évoqué « la connexité » de l'affaire.

L'universitaire Fabrice Defferrard, spécialiste du droit pénal, qui milite pour que la notion de crimes en série soit inscrite dans le code pénal, justifie cette « pirouette juridique » : « Dans le cas de l'affaire Leroy, il y avait une rupture d'égalité des victimes devant la loi. » Jean-Pierre Leroy, président depuis février de l'association ViEs (Victimes en série), confirme : « La prescription est une notion impossible à comprendre pour des familles endeuillées. D'ailleurs, quand nous avions été reçus à l'Élysée, le président de la République et Madame Dati étaient d'accord pour une évolution sur ce sujet. Nous, nous militions pour un délai de 30 ans. »

 

« Une évolution logique »

 

Jean-Pierre Leroy estime aussi qu'il serait temps qu'il y ait une harmonisation européenne en matière de prescription : « En Belgique, elle est de 15 ans. Dans l'affaire Fourniret, on aurait pu se trouver dans un cas de figure absurde où une affaire vieille de 14 ans en Belgique aurait été jugée, mais pas l'assassinat de ma fille. » Pour Jean-Pierre Leroy, l'allongement de la durée de la prescription est « une évolution logique » : « Sinon, à quoi bon identifier des criminels grâce au progrès de la science s'il est impossible, ensuite, de les juger ?

Dossier : Christophe PERRIN

 

 

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