Sonia MEJRI, l’épouse d’un dirigeant de l’armée secrète de l’Etat Islamique

Publié le 29 octobre 2020

La Cour d’Assises Spéciale chargée de juger Sid-Ahmed Ghlam et ses coaccusés a entendu comme témoin Sonia Mejri, l’épouse sur zone d’Abdelnasser Benyoucef, cadre de l’état Islamique et principal commanditaire de l’attentat.

C’est l’un des moments forts de ce procès.

Le rôle des femmes au sein de l’Etat islamique

Le rôle des femmes au sein de l’EI est relativement limité ; à la connaissance des services spécialisés, aucune femme n’a eu un pouvoir décisionnaire au sein de l’EI.

Elles sont avant tout les épouses des moudjahidines (nda : combattants au nom de l’Islam) et les mères des futurs jihadistes.
A leur arrivée sur le territoire de l’Etat Islamique, elles sont conduites dans des maisons d’accueil dédiées aux femmes appelées Madafa, et ne peuvent en sortir que pour se marier.
Elles sont mariées à des hommes qu’elles ne connaissent pas, et repassent par les Madafa pour être remariées dès que leur mari est tué au combat.

Par principe, elles ne sont pas associées aux combats et à la stratégie militaire de l’Etat Islamique.

Cependant, les services de renseignement ont reçu des informations sur la constitution de brigades composées exclusivement de femmes, qui étaient formées au maniement des armes et à l’élaboration d’attentats suicides.

De nombreux attentats suicides ont été commis par des femmes en Afrique et en Asie, les femmes attirant moins l’attention, et pouvant facilement dissimuler des armes et explosifs sous leur voile intégral.

En France, plusieurs ont été interpellées entre 2014 et 2016, alors qu’elles se préparaient à commettre des attentats.
Il en est ainsi des quatre femmes arrêtées le 4 septembre 2016, alors qu’elles s’apprêtaient notamment à faire exploser un véhicule chargé de six bonbonnes de gaz aux abords de la Cathédrale Notre-Dame de Paris.

Les femmes sont par ailleurs présentes dans la propagande de l’EI, et sont à cette occasion parfois représentées en posture de combat ou munies d’une arme.
L’EI a diffusé quelques interviews de femmes, comme Hayat Boumedienne, l’épouse d’Amedy Coulibaly, auteur de la dramatique prise d’otages de l’Hyper Cacher en janvier 2015, dans laquelle celle-ci rend hommage à son mari et exhorte “ses sœurs" à se consacrer à leur mari et à la lecture du Coran.

Certaines femmes sont devenues de redoutables vecteurs de propagande et des recruteuses pour le compte de l’EI (comme la française Emilie Koning par exemple).

Reste que la plupart des femmes ont été cantonnées à un rôle d’épouse et de mère.
C’est le cas de Sonia Mejri, l’épouse sur zone d’Abdelnasser Benyoucef, le principal commanditaire de Sid-Ahmed Ghlam.

Sonia Mejri, l’épouse d’Abdelnasser Benyoucef

Abdelnasser Benyoucef, dont la kunya est Abou Mouthana, est considéré par les initiés comme l’un des français ayant exercé les fonctions les plus importantes au sein de l’État islamique.

Il s’agit d’un personnage incontournable de Daesh, franco-algérien né en 1973 et formé au jihad armé en Afghanistan et en Géorgie à la fin des années 90 et au début des années 2000.

Abdelnasser Benyoucef s’est rendu en Syrie en 2013 et est rapidement devenu un puissant émir militaire : d’abord à la tête de la sanglante katiba Al-Battar, puis cadre de l’Emni (service de renseignements et espionnage parfois aussi appelé Amniyat ou Amni), puis à la direction de la cellule des opérations extérieures (COPEX) chargée de superviser la préparation et l’exécution des attentats à l’étranger.

Pour percevoir l’importance d’Abdelnasser Benyoucef, il suffit de reprendre l’anecdote racontée par certains de ses proches : il recevait des cargaisons de produits occidentaux quasiment indisponibles en Syrie, et les conservait à son domicile syrien...

Sonia Mejri est l’une des épouses d’Abdelnasser Benyoucef.
Elle est arrivée sur zone en septembre 2014, à l’âge de 25 ans.
Selon ses dires, Abdelnasser Benyoucef serait décédé le 30 mars 2016, et elle se serait ensuite remariée avec un combattant.

Sonia Mejri s’est rendue aux forces kurdes en mars 2019, accompagnée de ses trois enfants.
Après avoir séjourné dans plusieurs camps tenus par les forces kurdes, elle a pu s’enfuir et rejoindre la Turquie au mois de novembre, et s’est rendue quelques semaines plus tard au Consulat Général de France d’Istanbul, le 26 décembre 2019.
Elle a été remise aux autorités françaises peu après, et est aujourd’hui en détention provisoire pour association de malfaiteurs terroriste.

Les informations apportées par Sonia Mejri

Citée à comparaître devant la Cour d’assises spéciale chargée de juger Sid-Ahmed Ghlam et ses co-auteurs, Sonia Mejri a été extraite de sa cellule pour se présenter devant les juges.

Elle a déclaré n’avoir su que peu de choses du « travail » de son mari, mais elle a tout de même pu apporter des éléments intéressants :

• Abdelnasser Benyoucef passait beaucoup de temps avec :
- Abou Muqatil identifié comme étant Boubakeur El-Hakim, avec lequel il partageait la direction de la Cellule des opérations extérieures de l’Etat Islamique ;
- son ami Amirouche, Samir Nouad de son vrai nom, désigné par Sid-Ahmed Ghlam comme l’un de ses commanditaires ;
- et un belge dénommé Abou Moussahab alias Sammy Djedou, ayant occupé une fonction importante au sein de la COPEX ;

• Abdelnasser Benyoucef avait des liens avec Abdelhamid Abaaoud, belge connu pour être impliqué dans l'envoi de terroristes en Europe en 2015, et pour avoir lui-même participé aux attentats du 13 novembre ;

• Abdelnasser Benyoucef lui avait indiqué qu’il était lié à l’attentat de l’Hyper Cacher et plus précisément qu’il avait “trouvé” Amédy Coulibaly, et qu’il avait également “trouvé” Abdelhamid Abaaoud pour commettre un attentat à Verviers et Sid-Ahmed Ghlam pour un attentat en avril 2015 ;

• Abdelnasser Benyoucef lui avait également précisé que Sid-Ahmed Ghlam avait fait l’objet d’une formation sur zone syrienne (contrairement à ce que prétend Ghlam qui dit ne jamais être allé en Syrie) ;

• Abdelnasser Benyoucef n’a jamais quitté la Syrie depuis leur mariage en octobre 2014; or, Sid-Ahmed Ghlam assure l’avoir rencontré à deux reprises en Turquie et avoir été formé à ces occasions ;

• Les Madafa sont réservées aux femmes, il n’y a pas d’hommes ; or, Sid-Ahmed Ghlam affirme avoir rencontré ses commanditaires dans des Madafa turques. Il faut en déduire que Sid-Ahmed Ghlam a bien été formé sur le territoire de l’EI et non en Turquie comme il l’affirme ;

Elle s’est par ailleurs montrée catégorique sur la mort d’Abdelnasser Benyoucef, précisant l’avoir vu mort de ses propres yeux.

Aujourd’hui âgée de 31 ans, Sonia Mejri a assuré s’être éloignée de l'idéologie islamiste et terroriste, et a livré d’importantes précisions lors du procès des attentats de janvier 2015 (concernant Amédy Coulibaly) et du projet d’attentat de Villejuif.

Pôle attentats, Cabinet ACG

 

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