Panorama d'actualité 2024 en droit du travail : Le motif économique de licenciement (1)

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Les pertes d’exploitation doivent être sérieuses et durables pour constituer des difficultés économiques fondant un licenciement

  • Une société supprime 3 postes en raison de « résultats d’exploitation déficitaires depuis 3 ans et compromettant la compétitivité et la capacité de l’entreprise à maintenir et développer ses activités ». 
  • Une assistante administrative qui a accepté le contrat de sécurisation professionnelle conteste le motif économique invoquant l’augmentation constante du chiffre d’affaires et la baisse des pertes d’exploitation. 
  • L’employeur produit un tableau démontrant l’existence de pertes d’exploitation durant 3 années nonobstant un chiffre d’affaires en hausse, ce dont la Cour d’appel a déduit l’existence de difficultés économiques. 
  • La Cour de cassation a cassé cet arrêt pour manque de base légale : les juges du fond auraient dû rechercher si l’évolution de ces pertes d’exploitation était significative, c’est-à-dire si les pertes d’exploitation enregistrées dans le secteur d’activité concerné étaient sérieuses et durables.

La Cour d’appel de renvoi devra donc vérifier sur les comptes de résultat si les pertes invoquées étaient d’ampleur suffisante et si elles se sont inscrites dans la durée.

Effectivement, l’article L.1233-3 du Code du travail fixe des critères objectifs pour l’appréciation des difficultés économiques invoquées à l’appui d’un licenciement économique. Mais hormis pour l’indicateur de la baisse du chiffre d’affaires et des commandes, ce texte ne fixe pas de condition temporelle à l’évolution des indcateurs. Ainsi des pertes de faible ampleur ou passagères ne peuvent suffire à fonder un licenciement économique.

Il faut, mais il suffit qu’il y ait une « évolution » de l’un de ces critères et qu’elle soit « significative » :

« Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1°) A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2°) A des mutations technologiques ;

3°) A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4°) A la cessation d'activité de l'entreprise. »

Rappelons que la Cour de cassation s’est déjà penchée sur la dégradation de l’excédent brut d’exploitation (EBE) (Cass. Soc. 1er fév. 2023, n°20-19.661, C. / Sté MJA) où elle a confirmé la validité du motif économique invoqué dans une affaire où l’entreprise était confrontée depuis 2 années à une dégradation de son EBE bien que son chiffre d’affaires venait d’augmenter d’environ 25% l’année précédente.

Rappelons également que la Cour de cassation a aussi confirmé que l’employeur pouvait panacher plusieurs indicateurs économiques et qu’il peut y avoir un motif économique réel et sérieux sans pour autant qu’il y ait de baisse du chiffre d’affaires continue sur les périodes trimestrielles visées par le texte, dans une affaire où l’employeur avait perdu plus de la moitié de ses capitaux propres et démontrait des pertes structurelles conséquentes sur les 4 dernières années avec un endettement très important (Cass.Soc. 21 sept. 2022, n° 20-18.511, FS-B, Sté Viessmann Industrie France).

Cass.soc.18 octobre 2024, n°22-18.852, Sté C-Quadrat asset management France

 

Vanessa LEHMANN

Avocat - Associée - Droit du Travail 

Natacha MIGNOT

Avocat – Droit du Travail

Vanessa LEHMANN
Avocat associé
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Natacha MIGNOT
Avocat

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