Affaire Vincent Lambert : réponse de Me Chemla à Emmanuel Hirsch

Publié le

Avocat du neveu de Vincent Lambert, je suis en désaccord avec l'analyse d'Emmanuel Hirsch
Publié par Gérard Chemla le 29/06/2016 dans L'Obs Le plus
Édité par Barbara Krief, Auteur parrainé par Rozenn Le Carboulec.

 

LE PLUS. Le 16 juin, la Cour d'appel administrative de Nancy a ordonné la reprise de la procédure d'arrêt des soins de Vincent Lambert. Une information à laquelle avait réagi Emmanuel Hirsch, professeur d'éthique médicale, à travers une tribune publiée sur Le Plus de L'Obs. Gérard Chemla, avocat de François Lambert (le neveu de Vincent Lambert) et en désaccord avec l'analyse de l'expert, lui répond.

Emmanuel Hirsch, grande figure de l’éthique dans le milieu hospitalier, (sans être lui-même médecin) vient de prendre une position très étonnante dans le cadre de l’affaire Vincent Lambert.

 

Un débat mortifère qui semble ne devoir jamais s’arrêter

Alors que la Cour Administrative de Nancy vient d’enjoindre au Centre Hospitalier de Reims de reprendre la procédure collégiale, suspendue "au nom de l’apaisement et de la sécurité du personnel soignant", ce philosophe s’interroge publiquement : "Selon quels critères incontestables peut-on affirmer que ce qu’elles (les personnes privées de conscience) vivent est incompatible avec la dignité de leur existence [...] les données tirées de l’expertise biomédicale dont on évoque néanmoins les approximations s’agissant de personnes en 'état d’éveil sans conscience' sont-elles de nature à instruire, voire à déterminer, à elles seules, un processus décisionnel" ?

Selon ce professeur d’éthique médicale, il serait important de rétablir un rapport de pleine confiance, notamment au sein du cercle familial de Vincent Lambert qui se déchire sur son avenir, mais également une confiance entre le corps médical et les proches.

Il va donc jusqu’à soutenir la volonté des parents du patient qui attendent son transfert dans un autre établissement qui permettrait à sa famille "d'avoir la conviction que l'arbitrage de la décision collégiale se ferait sans le moindre soupçon".

Il ajoute : "Respecter M. Vincent Lambert, c’est certainement ne pas prononcer aujourd’hui des paroles définitives et rajouter des invectives aux controverses qui depuis mai 2013 le desservent dans ses droits fondamentaux, comme celui de bénéficier de l’accompagnement prescrit aux personnes en état d’éveil sans conscience dans la circulaire du 3 mai 2002."

Ces prises de position au nom de l’autorité morale que lui confère son statut au sein de l’AP/HP sont préoccupantes, tant elles sont de nature à relancer un débat mortifère qui semble ne devoir jamais s’arrêter.

Sans compétence médicale, il va – comme l’ont fait certains juges – mettre en doute le diagnostic des experts au nom d'interrogations qui ne sont assis que sur ses convictions personnelles, pour remettre en cause les décisions des juges au nom de l’apaisement et du consensus.

 

Une loi d’une prudence extraordinaire

L’éthique devrait pourtant s’attacher au respect de certaines valeurs comme celle du droit dans une société démocratique.

La loi a péniblement encadré la fin de vie en admettant la nécessité de ne pas faire souffrir un patient et donc de mettre un terme à un acharnement médical thérapeutique. Cette loi est d’une prudence extraordinaire. Elle impose au médecin une consultation très large, elle ne lui permet pas de donner la mort mais simplement de cesser les soins (ce qui semble dans ce type de cas une dialectique discutable).

Le but était d’arrêter de contraindre les médecins à achever sous le manteau des patients pour ensuite se retrouver devant des Cours d’Assises, les faisant le plus souvent passer du statut de criminel à celui de héros.

Cette loi a été validée par l’ensemble des autorités médicales, éthiques et juridiques. Elle constitue donc un socle de l’Etat de Droit. Pourtant on va s’acharner à ne pas l’appliquer au nom de l’opposition et de la radicalité des parents.

Par ailleurs, exiger un consensus avec des personnes qui prônent la vie à tous les prix (sauf quand il s’agit de peine de mort), qui se sont physiquement opposées à l’IVG et dont les convictions s’abritent derrière le sacré… revient à laisser à l’extrémiste la décision et donc à renoncer à cette décision. Se mettre d’accord avec quelqu’un qui ne variera jamais n’est en effet possible que lorsqu’on accepte d’endosser son point de vue.

 

Le piège "diabolique" du changement d’hôpital

Mettre en cause l’équipe soignante qui n’a démérité que lorsqu’elle a renoncé à sa mission en laissant entendre qu’elle se serait discréditée et donc demander un transfert de lieu d’hospitalisation ne vise qu’à mettre un terme au débat sur l’acharnement. Quel hôpital accepterait aujourd'hui de recevoir Vincent Lambert ?

La réponse à cette question est évidente : un hôpital prêt à poursuivre sans limite les soins voire les parents eux-mêmes qui, récupérant le corps de leur fils, obtiendraient une sorte de droit de propriété sur lui qui leur permettrait de prolonger ses souffrances jusqu’à ce qu’il meure de vieillesse, sans égard pour sa volonté, sa femme et sa fille.

Ainsi, poser la question de la légitimité de l’équipe revient en fait à chercher un biais pour mettre un terme au droit de ce patient à mourir dans la dignité.

Emmanuel Hirsh pourrait nous donner sa position sur ce droit qu’il semblait pourtant défendre par ailleurs notamment au travers de l’Erema (espace national de réflexion éthique sur la maladie d’Alzheimer).

La vérité semble être ailleurs et nous renvoyer à cette contradiction si française qui nous amène à ne jamais respecter les principes que nous posons, surtout lorsqu’il s’agit de sortir de la discussion philosophique pour se confronter à "l’agir".

 

Et l'éthique dans tout ça ?

Le Docteur Léonetti n’a donc finalement rien compris, les sages semblant préférer que les médecins continuent à pousser des seringues sous le manteau plutôt qu’à affronter les décisions les plus difficiles sur la fin de vie.

Il aurait fallu écrire dans la loi que l’arrêt des soins n’était pas une décision médicale mais une décision prise à l’unanimité par la famille, le médecin ne faisant que la valider s’il en a le courage et l’envie !
Cette position est finalement à l’image du régime politique et de ses hésitations permanentes.

Au fait et l’éthique dans tout ça ?

 

 

Gérard CHEMLA, avocat rémois réputé en matière pénale des victimes
Gérard CHEMLA
Avocat associé

Dans la même thématique

Une évolution malencontreuse s’agissant du préjudice d’angoisse de mort imminente

Le préjudice d’angoisse de mort imminente est un préjudice qui a vocation a indemniser la crainte pour une victime de mourir dans les suites d’un accident, ou d’une agression.

Réforme de la procédure pénale : quels sont les apports de la loi du 20 novembre 2023 entrée en vigueur le 30 septembre 2024 ?

Publié le - Thème(s) : Thème : Droit des victimes, Thème : Droit pénal

La loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 du 20 novembre 2023 est entrée en vigueur le 30 septembre 2024. 

 

Plusieurs articles étant consacrés à la matière pénale, retour sur les modifications apportées par cette loi et leur incidence procédurale. 

 

Au niveau de l’enquête : 

 

Quelles réponses face au harcèlement scolaire ?

Publié le - Thème(s) : Thème : Droit des victimes, Thème : Droit pénal
Le harcèlement scolaire est aujourd’hui devenu un problème sociétal profondément enraciné dans la société. Focus sur les solutions politiques, pénales et disciplinaires à disposition des victimes et de leurs parents.

La Cour de cassation confirme sa position en alignant la pension d’invalidité sur le régime de la rente accident du travail

Publié le - Thème(s) : Thème : Droit des victimes
La Cour de cassation confirme sa position en alignant la pension d’invalidité sur le régime de la rente accident du travail : la pension d'invalidité ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (DFP).

La Cour de cassation opère un revirement attendu sur la rente accident travail

Publié le - Thème(s) : Thème : Droit du salarié, Thème : Accident de travail, maladie professionnelle, Thème : Droit des victimes

Une injustice existait depuis longtemps pour les victimes d’accident du travail qui voyaient diminuer leur indemnisation du déficit fonctionnel permanent en cas de rente AT.

En effet, la Cour de cassation avait décidé que la rente versée aux victimes d’un accident du travail devait être déduite des postes professionnels (pertes de gains professionnels futurs et incidence professionnelle), ce qui se comprenait, mais aussi du déficit fonctionnel permanent. Ce qui était très largement décrié par les avocats de victime.

L’arrêt V13 (attentats du 13 novembre 2015)

Publié le - Thème(s) : Thème : Droit des victimes, Thème : Victime d’attentat
L’arrêt V13 (attentats du 13 novembre 2015) sur intérêts civils a été rendu ce matin par la Cour d’assises spécialement composée. Il s’agit de la partie d’un arrêt qui décide qui peut être considéré comme partie civile, c'est-à-dire comme victime au sens du droit pénal à la suite des condamnations pour tentative d’assassinat terroriste, complicité, association de malfaiteurs, terroriste ou non. Cette décision est importante en ce qu’elle tranche des questions qui étaient toujours pendantes près de 8 années après les faits et surtout parce qu’elle pose un cadre qui, au-delà des seuls attentats du 13 novembre, permettra de résoudre des questions consécutives à d’autres attentats.

Les frères CLAIN : mort non officielle et condamnation exemplaire

Publié le - Thème(s) : Thème : Droit des victimes, Thème : Victime d’attentat

A la fin du mois de février 2019, les médias ont annoncé la mort des frères Fabien et Jean-Michel CLAIN, jihadistes français, acteurs majeurs de la propagande francophone de l’État islamique, dans des frappes de la coalition internationale.

La Taqqiya ou l’art de la dissimulation dans le jihadisme

Publié le - Thème(s) : Thème : Droit des victimes, Thème : Victime d’attentat

La Cour d’assises antiterroriste spécialement composée de magistrats professionnels juge en ce moment-même vingt individus accusés d’avoir participé aux attentats du 13 novembre : coordinateurs, membres de commandos, logisticiens…

Les débats qui ont lieu sur l’île de la cité, au sein du Palais de justice historique, dans une salle d’audience spécialement construite et aménagée en vue de ce procès, ont à plusieurs reprises fait référence à la Taqqiya.

Procès de l’attentat de Villejuif : Plaidoirie de Gérard CHEMLA

Publié le - Thème(s) : Thème : Droit des victimes, Thème : Victime d’attentat

‘Juger c’est comprendre et je ne vous comprends pas Monsieur GHLAM’

Quelques rappels

Le dimanche 19 Avril 2015 au petit matin, Sid Ahmed GHLAM, jeune étudiant parisien dont la famille est installée à St Dizier (52), avait comme projet de s’attaquer aux fidèles de l’église Ste Thérèse de Villejuif.

Les réquisitions dans le procès du projet d’attentat de Villejuif

Publié le - Thème(s) : Thème : Droit des victimes, Thème : Victime d’attentat

"On a toujours parlé à tort de l'attentat manqué de Villejuif. C'est oublier qu'Aurélie Châtelain a été assassinée ce dimanche 19 avril sur un parking de Villejuif (…) Elle a été la première et heureusement la seule victime de l'attentat de Villejuif. (...) Elle avait 32 ans et toute la vie devant elle".

Ce sont les premiers mots des avocates générales ce lundi 2 novembre, qui aux termes d’un réquisitoire de six heures, ont requis la condamnation de l’ensemble des accusés.