Article paru dans l'Union le 20 septembre 2013
| COUR D'ASSISES |
MARNE. Au premier jour du procès d'Alain Garinet, accusé d'avoir tué sa belle-mère de 84 ans à Heiltz-le-Maurupt, tous les témoignages sont allés en sa faveur, pas en celle de la victime.
«J'AIMERAIS pouvoir entendre quelque chose de bien sur cette femme », lâche Gilles Latapie, président de la cour d'assises de la Marne. Un léger sourire se dessine sur ses lèvres, comme s'il n'y croyait pas. Il parle pourtant d'une victime, Huguette Removille, morte d'une décharge de fusil de chasse en pleine tête. Elle avait 84 ans, était impotente. C'était le mercredi 6 avril 2011, à Heiltz-le-Maurupt, dans la grande maison « familiale ». La cartouche, de type Breneck, qui a causé sa mort, tirée tout au plus à un mètre selon un expert, était réservée au gros gibier. Les dégâts qu'elle a causé furent tels que le meurtrier présumé n'a pas eu besoin de presser la détente une seconde fois.
Au moment de cette déclaration, aucun des témoins et des parties civiles qui viennent de se succéder à la barre n'a vanté les mérites de la vieille dame. Que ce soit Francine la voisine, le maire de la commune Michel Bailly, une visiteuse de malades. Le reste des auditions se déroule selon le même registre. Au point que c'est la victime qui fait figure d'accusée. Une femme « acariâtre, méchante, manipulatrice, qui s'en prenait toujours à quelqu'un ».
« Elle contrôlait tout »
En revanche, son gendre Alain Garinet, 61 ans, le meurtrier présumé qui comparaît sous le régime du bracelet électronique après avoir passé un an en cellule, collectionne les louanges. Presque immobile sur sa chaise, il n'enregistre que des soutiens. « Quelqu'un de très gentil, travailleur, serviable, sérieux, réservé, qui ne répondait jamais aux insultes qu'adressait sans cesse sa belle-mère, à lui et aux autres ».
Les autres, ce sont les deux enfants de la défunte, Annie Garinet 56 ans (épouse d'Alain) et son frère Daniel Removille 61 ans, ainsi que la fille d'Annie et Alain, Adeline 21 ans. Ces trois personnes qui vivaient dans la maison commune, sont parties civiles, et fait rare dans une cour d'assises, soutiennent l'accusé.
« À 58 ans, je n'avais pas le droit à une carte bancaire, mes comptes étaient épluchés tous les mois au centime près. Si je ne suis pas marié aujourd'hui c'est parce que ma mère traitait toutes mes copines de traînées. Elle leur passait des coups de fil, s'en plaignait aux gendarmes. Même quand il m'arrivait de sortir chez des amis, elle leurs téléphonait jusqu'à minuit pour savoir si j'étais là », raconte Daniel. Après l'arrestation d'Alain Garinet, il lui a adressé un étonnant message d'amitié dans lequel il dit, entre autres, que son geste lui ouvre une nouvelle vie. Son avocat, Me Antoine Flasaquier, pour illustrer la situation que subissait Daniel, révèle qu'il serait allé jusqu'à prononcer, en substance, cette phrase : « Si ma vie doit se terminer de façon proche (ndr : il pensait à une maladie) je tuerais ma mère, et je me tuerais après, pour libérer les autres ».
Tout au long des débats, on découvre comment la victime contrôlait tout, surveillait tout depuis sa chambre, de la pilule contraceptive de sa petite-fille aux communications téléphoniques, l'unique appareil se trouvant sur sa table de nuit. Comment elle s'acharnait verbalement sur son gendre dont elle ne voulait pas au début, qui encaissait tout sans rien dire, y compris les phrases les plus cruelles lorsqu'il a fait un infarctus en 1995 puis développé une leucémie en 2008 et qu'elle espérait « qu'il crève avant elle ».
Comment ses enfants vivaient sous son emprise, redoutaient ses chantages et ses excès. Comment Alain Garinet, défendu par Me Sébastien Busy, a tenté de résister et est allé jusqu'à couper les ponts avec sa famille - de son plein gré dit-il -, au point que ses propres parents n'ont jamais vu leur petite-fille. Comment depuis des années, Annie dispensait tous les soins dont sa mère avait besoin après s'être cassé le col du fémur puis un genou, alors qu'elle ne voulait pas se faire hospitaliser ni être placée. Plusieurs fois, le président s'étonne de la passivité des uns et des autres, de leur soumission pendant des dizaines d'années. En réalité, Huguette Removille n'a pas toujours été ainsi, même si tout le monde lui reconnaît un autoritarisme historique. Elle a perdu son mari très jeune. Il a été foudroyé. « Son mérite a été d'avoir élevé seule ses enfants. Elle les a protégés, surprotégés », analyse un témoin.
Plusieurs événements l'auraient fait changer : l'arrivée de son gendre, ses ennuis de santé à elle et à lui, puis, en dernière limite, le souci d'indépendance de sa petite-fille.
Il se lève et tire 1,12 minute après
Peu avant le drame, Adeline a quitté son petit ami que la famille avait accepté, pour un autre compagnon plus âgé avec qui elle vient d'ailleurs d'avoir un enfant. Adeline est donc partie de la maison le samedi 2 avril 2011. Ses parents, qui n'appréciaient pas non plus cette liaison, sont rentrés de leur voyage le dimanche. Le lendemain, sa mère tente de se suicider, à tout le moins, de lancer un signe à sa fille pour qu'elle revienne. Elle est hospitalisée à Vitry-le-François.
Le mercredi 6 avril, Alain Garinet part rechercher son épouse. En tout début d'après-midi, alors qu'il a bu l'équivalent « de deux ou trois verres de ratafia » selon le président, ne supportant plus les dernières insultes de sa belle-mère, il monte à l'étage et s'empare d'un fusil, redescend à la buanderie prendre les deux premières cartouches qu'il trouve (c'est un chasseur), et se dirige vers la chambre d'Huguette. Les enquêteurs ont établi qu'il s'est passé 1,12 minute entre le moment où il se lève et celui où il tire. Pour l'un des experts, Alain Garinet a accumulé pendant des années les frustrations sans communiquer comme il aurait dû le faire, a tout absorbé comme une éponge, jusqu'à la saturation. « C'est le syndrome de la cocotte-minute. Si la soupape ne fonctionne pas, elle explose ». Le verdict sera connu aujourd'hui.
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